Habituellement je n’aime pas faire la critique de films. Je ne suis pas cinéphile, je n’y connais rien en techniques, effets de caméra et autres secrets que cet art a développé tout au long de sa courte mais si riche histoire. Par déformation professionnelle, j’aime regarder un film avec l’oeil (critique) du sociologue, les structures sous-jacentes, ce que le film dit de notre époque et de notre temps, mais aussi comme si j’étais le sociologue de l’univers qu’on me propose, les interactions, les prises de position, les valeurs. Et de me dire « qu’aurais-je fait dans cette situation » ? Rien de ce que font les critiques de cinéma, ou trop rarement. Dès lors je préfère m’abstenir et savourer mon petit moment ciné dans mon coin ou avec les amis qui partagent la rangée de sièges avec moi. Mais, une douzaine d’heure après le visionnage de ce Rogue One, quelque chose me taraude. Comme l’envie de raconter mon expérience de ce film, loin des aspects technico-techniques, de la réalisation et de « hum cet effet lence flare est exquis », mais dans une optique de coucher ici mon ressenti, en tant qu’humble fan de cette galaxie très très lointaine.


Car Star Wars est un cas à part pour moi. Comme beaucoup, je suis tombé dedans quand j’étais petit. 5 ans très exactement. Un nouvel espoir et c’est une vie qui change. Il s’agit bien plus que d’un film pour moi. Enfant et adolescent, je m’extasiais devant les batailles spatiales de la trilogie originelle, visionnant et revisionnant jusqu’à la nausée les acrobaties des chasseurs en orbite d’Endor jusqu’à connaître et reconnaître chaque pilote, chaque trajectoire de vaisseaux et chaque explosion dans ses moindre détails. Bien que certaines de mes passions ont pu disparaître ou s’atténuer avec le temps, Star Wars est toujours restée. Cette série m’a toujours accompagné quelle que soit l’humeur, l’état d’esprit ou les changements, évidemment nombreux, qui ont émaillé ma vie. Une de mes chères et tendres, m’observant alors que je regardais la bande annonce de Rogue One a eu cette phrase, un brin moqueuse mais pourtant si vraie : « C’est amusant, quand tu regardes Star Wars tu as l’air de retourner 20 ans en arrière ». Et elle avait raison.


Même lorsque la nouvelle trilogie est arrivée. Je l’ai pourtant appréciée, malgré ses défauts évident et son scénario bancal. Oui Jar-jar Binks était une erreur, oui l’histoire d’amour entre Anakin et Padmé était foireuse de A à Z, oui les midichloriens c’est nawak… mais c’était ma trilogie, la trilogie de ceux qui n’avaient pas vécu celle des années 70-80, la première que l’on pouvait se vanter d’avoir vue en avant première en hurlant dans le cinéma. Tout n’était pas à jeter (Dark Maul, les combats au sabre laser, la charge des jedï dans Geonosis ou encore l’ordre 66) mais il manquait quelque chose, un petit grain de folie, de la magie, un truc grandiose et qui prend aux tripes. L’annonce d’un épisode VII (suivit par deux autres films), était un prémisse. Larmes, tremblements devant la bande-annonce. Les trompettes qui résonnent, les frissons qui remontent le long de l’échine… On allait laver l’affront de la prélogie pour certains, on repartait sur de meilleures bases pour d’autres. Même si j’en ai voulu à Disney (et je leur en veux encore) pour s’être assis sur l’Univers Étendu, tuant 30 ans de créations fidèles et méticuleuses par des fans soucieux de construire un univers cohérent, j’ai mis de côté mes appréhensions pour aller voir ce film dans un état d’esprit le plus neutre possible. Applaudissements dans la salle au moment du générique, applaudissements à chaque clin d’œil et apparition d’anciens acteurs. « Bonjour mon vieil ami » ai-je pensé en voyant la fameuse phrase d’ouverture. Et finalement c’est ce sentiment qui a prévalu. Oui, je revoyais un ami, nous partagions un nouveau moment après une longue absence. Mais quelque chose clochait encore. Était-ce à cause du coup de Disney sur l’univers étendu ? Très certainement. Beaucoup de choses sont apparues illogiques à mon œil acerbe de fan et d’inconditionnel de l’univers étendu. Qui était ce « Nouvel Ordre » ? De quoi était-il l’émanation ? Et les jedï, 20 ans après l’épisode IV, pourquoi étaient-ils si peu nombreux ? Et pourquoi la Rébellion elle existe encore ? Elle est où la Nouvelle République ? Et oh tient ils viennent de détruire Coruscant… QUOI ? ILS DETRUISENT CORUSCANT COMME ÇA POUF ET PERSONNE NE RÉAGIT ?! Peut être était-ce dû au côté trop consensuel du film ? Peut être. Car si J.J. Abrahams a sût ménager les fans comme moi, structurellement le film n’était qu’une copie modernisée de l’épisode IV. D’ailleurs l’épisode VII aurait dû se nommer « Episode IV² ». Star Wars était de retour, l’espoir aussi, mais ne nous donnait que quelques miettes histoire de patienter avant la suite. Oui le film était réussit mais il manquait quelque chose, un je ne sais quoi de transcendant.


Dur d’aborder Rogue One dans ces conditions. D’ailleurs nous étions moins nombreux à nous presser devant le cinéma bordelais que l’année dernière pour la première séance. Des geeks, des purs et durs mais pas de foule immense, compacte, excitée à l’extrême et chauffée à blanc. La vieille garde des fans mais pas de mixité. Une salle à moitié pleine et très peu de commentaires avant le film. La bande annonce m’avait fait le même effet. Des frissons oui, des larmes aux yeux également, mais plus par habitus de fan que par véritable sincérité. Et une petite voix dans la tête répétant en boucle « Mais ce n’est qu’une bande-annonce tu sais ? C’est facile de faire une jolie bande annonce avec la musique qui fait POIIIIIIN. Oui oui il y a Vador, oui l’Etoile de la Mort elle en jette. Mais ce n’est que la façade du truc. Tu as vu comment les personnages de l’épisode VII étaient tellement survolés ? Le mec qui ressemble à un jedï ça va être pareil. Idem pour l’héroïne : si elle est comme Rey ça risque pas de vendre du rêve… Allez pars sceptique ! Au moins tu ne seras pas déçu si le film est amer ». Pourtant, pourtant, l’espoir était encore là, tapi dans l’ombre, cette part enfantine me faisant dire « Mais si, ça va le faire ».


A partir de ce moment, spoiler garantis et non floutés. Vous voilà prévenus.


La salle s’éteint. Pas d’applaudissements comme il y a un an. Sur l’écran « a long time ago in a galaxy far far away ». Je serre les accoudoirs, me redresse, suspend mon souffle. Je sais qu’il n’y aura pas de trompettes, de générique triomphant. Boum. Ciel étoilé. Le choc est dur même si je m’y attendais. La caméra glisse doucement sur une planète. C’est dur. Où sont mes trompettes ? Ce n’est qu’un artifice, je le sais bien, mais c’est un rituel sacré pour les fans, le contrat initial, l’antichambre du frisson et de la joie qui va suivre. D’ailleurs, on sent le réalisateur perdu durant la première demie-heure de film. Qui sont ces personnages ? Que veulent-ils ? Que viennent-ils faire ici ? Mads Mikkelsen fait du Mads Mikkelsen. C’est bon, c’est juste mais quelque chose cloche. Il n’y a pas d’espoir, l’atmosphère est aussi étouffante que la domination impériale sur la galaxie. Première scène sur Cassian Andor (Diego Luna). Un espion rebelle en mission retrouve son contact paniqué. Une nouvelle arme est en construction. On le sait, il s’agit de l’Etoile Noire. Elle sera détruite dans l’épisode IV. Aucune surprise. Et pourtant, quelque chose cloche. Mais il s’agit de rebelles, ce sont les bons, les gentils, les défenseurs d’une cause juste. Dans la trilogie originelle, aucune action ne vient entacher leur réputation. Ça va aller. Andor tente de rassurer son contact, « Ça va aller » lui glisse-t-il… avant de l’abattre. Dans le dos, sans une émotion. Malaise. On n’était pas habitué à de la violence gratuite chez les rebelles, encore moins dans Star Wars. Mais que se passe-t-il donc ? On en remet une couche côté rebelle avec Saw Gerrera (Forest Whitaker) qui apparaît brièvement en début de film alors qu’il secourt une Jyn Erso (Felicity Jones) alors enfant : souriant, propre et bienveillant. Quelques temps plus tard il est méconnaissable : couvert de cicatrices, plus machine qu’humain, aigri, ayant recourt à la torture pour soutirer des informations, obligé d’utiliser régulièrement un respirateur sous peine de mort rapide et douloureuse. L’image radieuse du rebelle cheveux au vent s’évapore en 30 minutes montre en main. Du côté impérial, tout est propre et ordonné. Palpatine règne, l’Empire a tout pouvoir et peut agir à sa guise. Cela se ressent dans le jeu des acteurs. Orson Krennic (Ben Mendelsohn) cabotine en début de film, n’hésitant pas à en faire des tonnes. Surjeux ? Pas du tout. Il est celui qui a tout pouvoir et le sait, et agit donc en tant que tel. Tout sonne parfaitement juste, les pièces se mettent doucement en place avec une incroyable justesse.


Le film suinte la mort, le glauque et la décrépitude. La planète d’ouverture n’est que pluie, froid et vent. Jedha, ancienne planète jedï (mais le clin d’œil est trop évident pour être raté) est crasseuse à souhait. Population au bord de la révolte, statues millénaire d’anciens jedïs détruites. Même les stormtroopers sont dans la misère avec des armures tâchées et souillées. Tout est fait pour sentir la misère et le dramatisme de la situation. Et ça marche. Un vieux goût de bile dans la bouche, un malaise dans l’estomac. Même les « héros » ne semblent pas y croire. Bail Organa (Jimmy Smits) semble las et fatigué, K-2SO, la "caution humour" du film n'est que cynisme et blagues morbides (et une belle réussite au passage). Les rebelles sont indécis, tergiversent. L’équipement utilisé par ces derniers semble rustique, fait de bric et de broc. Et l’Etoile Noire se met en marche, magnifique, froide et destructrice, déclenchant une gigantesque vague de débris et de roches qui emporte tout sur son passage, balayant les frêles rebelles au passage. Après une bonne cargaison de morts, d’exécutions sommaires et d’un sauvetage-assassinat raté (mais, une fois de plus, par la faute des rebelles), passage par Yavin IV. Discussions, débats, « on y va ou pas ? ». On sait qu’ils vont y aller mais au vu du malaise distillé par litrons entiers durant le film, on se dit que tout ça va mal tourner. Il faut aller récupérer les plans sur Scarif, véritable paradis terrestre avec ses plages de sable fin et ses eaux bleues turquoises, lieu de l’affrontement final, où tout se termine en apothéose. À l’instar du film qui monte progressivement en puissance, les derniers combats n’échappent pas à la règle. Tout semble se dérouler sans accroc avant que les choses ne dérapent. Un héros meurt. Puis deux, puis trois puis… on ne compte plus. Personne n’est à l’abri. Les renforts rebelles, apportant une vague d’espoir, sont rapidement étrillés pour ne laisser que quelques survivants. Trouver les plans, faire vite, plus que quelques secondes. Les plans sont en sécurité, on respire de nouveau… Avant que Vador et ses renforts ne viennent nous achever. Et cette scène, cette scène… magnifique scène, tragique, horrible, de Vador s’avançant dans le noir, sabre laser à la main, découpant un par un les soldats rebelles qui hurlent de terreur avant que ces derniers, dans un ultime sacrifice, ne réussissent in extremis à donner les plans à leurs camarades. Magnifique et horrible à la fois.


Tout est d’une incroyable justesse. Esthétiquement chaque élément semble parfaitement à sa place : les vaisseaux rebelles sont en piteux état, l’Empire peut afficher sa toute puissance. Les acteurs ont même poussé le vice jusqu’à se laisser pousser la moustache (seventies style !) pour coller à l’épisode IV. Les combats sont lisibles et épiques. On retrouve la grandeur des batailles spatiales d’antan où chaque chose était à sa place sans pour autant donner envie de vomir. Les clins d’œils aux fans sont subtiles et discrets. Alors que l’épisode VII appuyait un peu trop sur les effets de ce genre façon « Hey t’as vu ? T’as vu ? T’AS VU HEIN ? », ici tout est astucieusement placé sans en faire trop à l’instar des Droïde Souris MSE-6 sur l’Etoile Noire et leurs petits bips si particuliers, où le plan sur le soldat rebelle dans sa tour sur Yavin IV. Les équipes du films ont même réutilisé des plans de 1977 notamment ceux de pilotes rebelles ! L’utilisation d’acteurs numériques comme dans le cas du Grand Moff Tarkin, déstabilise quelque peu au début mais s’oublie rapidement tant ils s’insèrent avec perfection dans la trame du film.


Il y aurait encore mille et une choses à dire sur ce film. La bande-originale par exemple. Si celle-ci est plaisante à écouter "à côté", elle est pratiquement invisible durant le film. Il manque clairement de grands thèmes facilement identifiables, des marches épiques et autres grands moments de bravoure. Néanmoins pardonnons à Michael Giacchino qui a dû écrire le tout en urgence. Vu le challenge c'est plus que respectable, bien que l'on regrette fortement notre bon vieux John Williams. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les divers changements qu'a connu le scénario, très probablement plus ambitieux au départ qu'il ne fût à l'arrivé. Nous aurons bien le temps de nous écharper là-dessus dans les temps à venir mais peu importe : le résultat final est excellent, les frissons sont là, le reste n'a que peu d'importance.


L’espoir était caché avant ce film. En tant que fan, j’étais prêt à pardonner beaucoup de choses. Et cet espoir s’est réveillé. Certes, le film ne brille pas par son optimisme. En tant que fan, je passe très certainement à côté de nombre de défauts qui paraîtront flagrant à certain(e)s. Mais en 2h15, le contrat est largement remplit. Cet épisode « spin-off » est le trait d’union nécessaire et bienvenu, entre la trilogie originelle et la prélogie. C’est une sorte d’Empire Contre-Attaque à l’envers : ça commence mal, ça finit mal mais une lueur d’espoir, un nouvel espoir, pointe timidement le bout de son nez dans les 30 dernières secondes. La dernière ligne de dialogue résume parfaitement le sentiment qui prévaut en sortant de la salle :


« - Que nous ont-ils donné ?
- L’espoir »

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le 15 déc. 2016

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