Dire que Rogue One suscitait l’inquiétude est un doux euphémisme. Premier spin-off de la franchise, énième retour dans l’esthétique de la trilogie originale, statut de préquel à l’épisode IV, rumeurs de reshoots massifs à l’été 2016 et d’un réalisateur dépossédé de son film, on aura tout entendu, tout lu et le matraquage de spots TV et de trailers dans ses dernières semaines de promotion ne faisaient rien pour rassurer. Et pourtant, levons le suspense insoutenable d’emblée, Rogue One : a Star Wars story est une franche réussite. Réussissant à s’éloigner des carcans de la saga intelligemment, tout en apportant une fraicheur et un contenu aussi riche que nuancé, le film de Gareth Edwards offre un récit solide, cohérent de bout en bout le tout doublé d’un festival de scènes guerrières inspirées des plus grands…mais manquant d’un supplément d’âme qui fait défaut cruellement à l’ensemble.
Situé entre les épisodes III et IV de la saga Star Wars, le film nous entraîne aux côtés d’individus ordinaires qui, pour rester fidèles à leurs valeurs, vont tenter l’impossible au péril de leur vie. Ils n’avaient pas prévu de devenir des héros, mais dans une époque de plus en plus sombre, ils vont devoir dérober les plans de l’Étoile de la Mort, l’arme de destruction ultime de l’Empire.
Lucasfilm avait promis un film de guerre et de commando au sein de l’univers Star Wars. Contrat pleinement rempli ! Edwards, bien aidé par une équipe aguerrie ayant collaboré à Zero Dark Thirty ou Black Hawk Down, applique une esthétique sombre, mélancolique voire crépusculaire à chaque image. Jouant sur les échelles avec malice, le film réussit à réinterpréter chaque élément mythique de la saga en lui donnant un poids et une valeur magistrale par sa simple mise en scène. L’Etoile de la Mort n’a jamais paru aussi imposante, Vador aussi majestueux.
On avait reproché à The Force Awakens sa timidité visuelle, son recyclage parfois abusif de vaisseaux ou de races alien. Ici c’est tout le contraire ! Débarrassé du lourd carcan imposé par les épisodes numérotés, Gareth Edwards développe de nouveaux environnements visuellement inédits (mention spéciale à Scarif), et un design poussé au maximum et généreux pour les fans les plus pointus de la saga de George Lucas.
On comprend d’ailleurs mieux pourquoi le septuagénaire a préféré visiter ce tournage précis plutôt que la suite de la trilogie qu’il avait créée. Lucas a toujours souhaité utiliser sa création pour parler du monde réel, innover et développer son univers. C’est exactement la grande réussite de Rogue One, qui enrichit la grammaire visuelle de la saga, tout autant que son contenu.
Ici les rebelles ne sont pas forcément tout blancs, tous sans exception sont gris comme le montre dans les premières secondes de son apparition Cassian Andor, nuancés, pour un vrai propos adulte et parfois subtil. Le culte Jedi vit malgré sa chute, et le propos sur la résistance, les armes de destructions massives associé à la Foi amène forcément une lecture plus contemporaine des évènements représentés.
Mais malheureusement, la richesse thématique ne peut cacher le manque d’empathie, en raison de personnages forts sur le papier mais froids à l’écran, malgré un casting impeccable à tous points de vue. Le commando se forme de manière hasardeuse autour d’une Jynn Erso puissante, mystérieuse et solidement campée par Felicity Jones au sommet de son art, mais jamais on ne ressent les vraies motivations qui poussent chaque personnage à se dépasser pour une cause perdue d’avance. Un vrai problème, comparé à The Force Awakens qui rendait son quatuor immédiatement attachant en deux plans et trois répliques.
Ce manque d’attachement perturbe le bon déroulement du film, notamment un deuxième acte mollasson où l’on trouve le temps un peu long, car soutenu par des enjeux familiaux dont on se fiche poliment. Le troisième acte lui est une vraie leçon de mise en scène guerrière mais son mérite revient bien plus à sa réalisation précise et immersive qu’au parcours de ses héros.
Rogue One : a Star Wars story est un exercice de style solide, bien foutu qui met à l’amende une très large partie de ce qu’Hollywood a pu nous offrir. Il montre que la saga peut s’affranchir de ses codes habituels via une vraie proposition artistique, tout en enrichissant l’univers et en offrant de nouveaux points de vue. Malheureusement, son écriture visiblement modifiée considérablement au cours de la production (le premier teaser monté d’images non présentes dans le film, un troisième acte aux ellipses grossières) et une vraie lacune de Gareth Edwards à écrire des personnages forts rend l’ensemble aussi intéressant que bancal. Reste à Lucasfilm a trouver le point médian entre la folie visuelle et une écriture puissante de ses protagonistes. L’Episode 8 sera peut-être cette réponse. En attendant, Rogue One impose Star Wars comme cette saga d’excellence qui manque cruellement au cinéma de divertissement moderne et Disney comme le gardien du temple idéal pour ce réservoir infini d’histoires.
Pour aller plus loin : le passionnant article de Wired sur la gestion au quotidien de Lucasfilm et de l’univers aujourd’hui global et cohérent qu’est Star Wars.
http://www.wired.co.uk/article/tastemakers-kathleen-kennedy-star-wars