Rojo, le troisième long-métrage du jeune cinéaste argentin Benjamin Naishtat, se situe au milieu des années 70, quelques mois seulement avant le coup d'état qui mènera à la dictature militaire. La première scène, dans un restaurant, est sidérante de violence contenue, principalement verbale, et donne le ton d'un film aussi fascinant que parfois déroutant dans son déroulement. Si le principal thème narratif tourne autour de la personnalité d'un avocat provincial, imbu de lui-même et capable de médiocres vilenies pour conserver son statut social, Rojo surprend par son climat étrange, voire absurde, où beaucoup de moments s'éloignent de la trame principale, tissant une sorte de toile destinée à nous faire comprendre quelle était l'ambiance, délétère, de cette période de l'histoire argentine. L'avocat, comme beaucoup de ses congénères de la bourgeoisie aisée est le socle sur lequel le futur gouvernement va pouvoir instaurer l'état d'urgence et se livrer aux pires exactions. Muette et les yeux grand fermés, trop heureuse que l'on ne se préoccupe pas de sa propre corruption, cette classe sociale est la complice idéale des militaires au pouvoir. En reprenant la grammaire du cinéma politique américain des années 70, celle des Lumet, Coppola ou Borrman, Rojo stylise au maximum ce thriller à combustion lente qui a des allures de psychanalyse sociale. Certains trouveront sans doute l'exercice un peu vain mais le soin apporté par Naishtat à son image et à ses musiques, notamment, fait de Rojo un objet étonnant et original, qui tranche avec un cinéma contemporain qui prend bien peu de risques sur les plans visuels ou narratifs. Sans doute parle t-il davantage au public argentin et à ceux qui ont vécu cette époque mais il n'en est pas moins fort excitant pour la rétine et pour l'esprit.