C'est parce qu'il est elliptique, parfois obscur, se perdant en digressions et revenant brusquement à un fil dramatique qui ne se dévoile qu'avec lenteur, parce qu'il ressemble souvent plus à une fable qu'à un récit politique que ce film emporte l'adhésion du début jusqu'à la fin. Sa force consiste à installer le spectateur dans une ambiance qui soutient l'attention sans créer une attente particulière quant au dénouement. Bien sûr, des éléments d'un suspense sont posés dans le long prologue qui montre successivement le pillage tranquille d'une jolie maison de ville puis l'altercation entre deux personnages dans un restaurant, mais il s'avère finalement que la solution de l'intrigue, une disparition, n'est pas l'objectif principal du narrateur : la lumière sera faite grâce à l'action d'un enquêteur ( une sorte d'inspecteur Colombo pétri de national catholicisme) et cependant cet éclaircissement ne changera rien à rien.
Revenir au contexte politique du récit ne présente qu'un intérêt limité : il suffit de noter que l'action se passe en 1975. L'Argentine est alors enlisée dans la " guerra sucia " d'un péronisme éclaté entre ses branches d'extrême-gauche et d'extrême-droite et soutenu par une bourgeoisie opportuniste qui ne craint rien tant que la " subversion " ; un Etat, vaguement présidé par Isabelita Perón, dans lequel enlèvements et exécutions extra-judiciaires vont déjà bon train. Le coup d'État est dans l'air ; il n'arrivera qu'en mars de l'année suivante en se proclamant Proceso de Reorganización Nacional. Videla et ses comparses intensifieront la répression (trente mille disparitions forcées, 500000 exilés...) mais ne s'avéreront que les timoniers ineptes d'un navire dérivant sur son erre qui finira par sombrer au large des Malouines.
C'est bien parce que la politique - cette inexorable ascension de la Réorganisation Nationale - est laissée dans un arrière-plan obsédant et flou, comme dans la vie de tous les jours, que ce film est captivant et résonne au-delà de l'Argentine d'il n'y a pas loin d'un demi-siècle.