Roma
7.1
Roma

Film de Alfonso Cuarón (2018)

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Trouver une édition physique de Roma (2018) m'a non seulement permis d'enfin découvrir ce film que je désespérais de voir car diffusé en exclusivité sur Netflix, mais il soulève pour moi deux questions à la limite de la rhétorique auxquelles je me propose de répondre ici.


La première est de l'ordre de l'intime et du subjectif. Peut-on valoriser une œuvre, ici un film, car on y voit des choses, des détails, qui nous semblent mis là comme des "easter eggs" disséminés par l'auteur pour s'adresser à un public qui connaitrait de par son expérience personnelle ces indices ?

Je m'explique. J'ai eu l'immense privilège de vivre à Mexico durant toutes les années 90, de ce fait, même si l'histoire dépeinte ici se situe chronologiquement plus tôt, plusieurs instants m'ont rappelés cette époque et ravivés des souvenirs. Ce sont des lieux que je reconnaissais, des lieux qui pour moi n'ont pu être choisis au hasard. Je suis par exemple persuadé que le choix des quartiers filmés, l'ont été pour servir autant la caractérisation des personnages du film que pour dire quelque chose de cette société mexicaine. Des contrastes que suggèrent la mise en scène entre le quartier résidentiel où vit la famille et le quartier plus populaire où se situe par exemple le cinéma où les employés de maison se retrouvent lors de leur temps libre. Certains détails qui peuvent paraitre anodins aux spectateurs ne connaissant pas les us et coutumes de cette ville tentaculaire mais paradoxalement organisée, m'ont au contraire paru d'une évidence telle que j'ai eu la sensation du privilège nombriliste que Alfonso CUARON me parlait directement, me faisait un clin d'œil complice. Le maître de maison qui klaxonne pour que son personnel vienne lui ouvrir et ce quelque soit l'heure, ce comportement qui pour nous européens parait à la fois stupide et irrespectueux, est d'une normalité établie là-bas. Il s'agit d'un de ces nombreux exemples qui régulent et régissent les relations sociales et marquent les statuts sociaux de la société mexicaine. Bien sûr Cuaron prend soin de montrer dans son récit cette relation ambigüe à son public ignorant de ces spécificités, la plus évidente étant à mon sens la relation entre la mère de famille et la jeune bonne, qui navigue entre une relation quasi filiale et le rappel violent de qui est le dominant.

Les sons du film m'ont eux aussi permis de revivre ces années mexicaines, le bruit constant de cette ville, les signaux sonores qui une fois identifiés permettent de savoir quel artisan est présent dans le quartier et du coup en profiter, car oui l'aiguiseur de couteaux ne s'annonce pas avec la même mélodie que le jardinier indépendant. Les deux ou trois séquences autour du cinéma, là encore la restitution qui est faite de cette sortie populaire m'a semblée d'une précision proverbiale, j'aurais même été plus loin en les rendant plus bruyantes que ne le fait le réalisateur, tant le cinéma au Mexique est un alibi pour se retrouver bien plus que pour voir des films dans un silence de cathédrale - ma découverte en salle dans un cinéma du quartier Polanco de Danse avec les loups (1990), que film Cuaron dans son Roma, restera à jamais gravé dans ma mémoire comme l'une des séances les plus iconoclastes qu'il m'ait été donné de voir - mais là encore cela dit quelque chose de la société et de la construction sociale du pays, la pénombre sert les relations intimes mais aussi protège du regard des privilégiés, des catégories supérieures.

Je ne vais pas continuer plus avant mais le film regorge pour moi d'encore bien des points a priori anodins ou sans conséquences mais qui m'ont paru au contraire pertinents dans la compréhension de ce récit intime et biographique.


La seconde question que soulève pour moi le film est cette fois de l'ordre du général et de l'objectif. Peut-on dissimuler derrière une apparente simplicité formelle, une complexité discrète mais bel et bien présente ?

Le choix du noir et blanc, au demeurant superbe, peut se voir tant comme un choix esthétique qui utilise sa simplicité pour circonscrire le récit à cette famille que pour installer les impensés. La relation déjà évoquée entre Cleo et la señora Sofia est elle juste un portrait de femmes liées dans un intime ou une démonstration descriptive d'une hiérarchie sociale sclérosée ? Enfin, et pour moi, c'est là que le film prend toute son ampleur et se hisse au rang de chef d'œuvre, Cuaron via le prisme de ses souvenirs dépeint dans un camaïeu de gris un Mexique pétri de contradictions qui porte en lui son charme de mescaline. Pays dont l'unité prend paradoxalement racine dans ses oppositions, riches et pauvres, descendants des conquistadors espagnols et personnes héritières des populations précolombiennes, citadins et ruraux et même dans les villes ceux qui vivent dans les quartiers périphériques riches et calqués sur les modèles américains et ceux qui habitent dans le centre plus européen et pauvre dans son urbanisme, les usagers des transports en commun versus les usagers de voitures personnelles.


A titre personnel, j'ai énormément aimé ce film, d'abord car il est indéniable qu'il est réussi en tant qu'œuvre cinématographique, mais surtout car il m'a parlé intimement et que j'ai eu l'impression qu'il s'adressait un peu à moi en m'évoquant des choses issues de mon passé et de souvenirs doux et importants.

Créée

le 22 sept. 2024

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