Rosalie
6.1
Rosalie

Film de Stéphanie Di Giusto (2023)


À la fin du XIXe siècle, en Bretagne, une jeune (et jolie) jeune femme, Rosalie prend pour époux un homme de 15 ans son aîné, Abel, qui consent à ce mariage surtout pour la dot de la jeune femme. Il se trouve qu'il ignore que Rosalie souffre d’un hirsutisme intégral, qu'elle cache à son entourage en se rasant quotidiennement. Le soir même de la noce, Abel découvre le secret de Rosalie et la répudie violemment. Cependant, la jeune femme refuse d’être stigmatisée et s’accroche à sa foi pour être acceptée de son époux. Petit à petit, Rosalie affirme son individualité tout en se mettant au service d’Abel pour l'aider à éponger ses dettes: elle ré-ouvre sa taverne et devient sa serveuse-mascotte en laissant pousser sa barbe, ce qui attire les badauds mais surtout les ouvriers de l’usine attenante. A mesure que le temps et les épreuves passent, le couple s'oriente vers une entente de plus en plus profonde. 

Le récit ne nous épargnera pas les épisodes d'humiliation et de lynchage propre au film de monstre, jusqu’à l'image finale ou culmine l'acceptation réciproque des deux personnages. 

Geste courageux et généreux que d'adapter la vie d'une authentique femme velue -Clémentine Delait. Le film suit d’ailleurs les grandes lignes de la biographie de la célèbre femme à barbe française. En adoptant le point de vue unique de son héroïne, la réalisatrice place sa femme insolite dans tous les plans, et court le risque de l’hagiographie. Cette Rosalie est tellement fondamentalement bonne, acceptante et pieuse qu’elle frôle l’invraisemblance. Certes, le féminisme qui se dégage du film est davantage le fait du destin de Rosalie  / Clémentine que de son caractère (un peu gnangnan tout de même).

Jamais elle ne doute, jamais elle n’abandonne, quelles que soient les vexations ou les souffrances qu’elle endure (la pire étant l'annonce glaçante de sa stérilité, directement liée à son anomalie hormonal).

C’est un survival au pays des superstitieux. 

D’un point de vue esthétique, le film est une réussite. Que d’inspirations picturales, musicales… La réalisatrice souligne sans arrêt l’unicité de Rosalie en l’habillant de robes raffinées et colorées au milieu de ce monde ouvrier monochrome (le gris domine les costumes, les décors et même la météo !). La couleur traduit l’excentricité du personnage, mais surtout l’agacement qu’elle produit à l’endroit de son mari, puis la jalousie qu’elle induit chez les villageois du bourg. Cette couleur restera sans doute la possibilité d’un bonheur hors d’atteinte. Tous les détails de la reconstitution de l’époque semblent respectés, des objets jusqu’aux détails des vêtements. Rien à dire, la facture est belle et qu'elle et belle notre Bretagne !

Cependant, à l'instar de l'affiche du film, le métrage nous prive du plus intriguant : ce qu'il reste de femme sur un faciès défiguré par lune pilosité honnie. 

Le film suit le déroulé attendu du parfait mélodrame en costume d’époque. Depuis la rencontre jusqu’à l’émancipation en demi-teinte, le parcours de Rosalie ne surprend pas vraiment. Hormis son mari, qu’elle bouleverse finalement, elle reste cantonnée à un personnage spectaculaire (dans le sens de spectare : qui sidère par la vue) lancé dans un film avec sa seule force vitale pour carburant, et l’humeur de son mari pour seul horizon. Elle se fait accepter avec sa barbe mais ne s’émancipe jamais du regard d’autrui. La femme à barbe devient une actrice, quitte à se compromettre dans des photographies libertine (« C’est formidable le cinéma. On voit des femmes, elles portent des robes, elles font du cinéma, crac, on voit leur cul » Michel Piccoli dans Le Mépris de Jean-Luc Godard). On aura compris que la condition de la femme n’est pas très enviable à cette époque et c’était peut-être l’objet du film que d’en discuter. Alors pourquoi refuser à Rosalie cette altérité avec d’autres femmes ?

L’on voit bien qu’elle tisse des liens de confiance avec les ouvrières, qu’elle se rapproche même d’une orpheline qu’elle tentera vainement d’adopter.

Mais non, les méchants sont les hommes (mention spéciale à Benjamin Biolay) et ils tirent finalement le film à eux, asseyant un pouvoir certes réel mais tellement attendu.

Il y a, bien sûr, les astuces de tournage qui fonctionnent plutôt bien dans le rendu final : le fait que les comédiens n'aient jamais répété ensemble avant de se « rencontrer » à l'écran ; la première « apparition » de Rosalie avec sa parure, lorsqu'elle descend l’escalier au bas duquel tout le monde l'attend avec impatience (personne sur le tournage n'avait assisté aux essais de maquillage), d'où le soin apporté au SFX, nécessitant plusieurs heures de préparation avant que Nadia Tereszkiewicz entre sur le plateau. Tout cela aboutit à un mélodrame historique en costume de qualité française.

Sur une thématique proche (le besoin de sororité et la veulerie des hommes faibles) « Rosalie » m’a cependant donné furieusement envie de revoir La Ventrière de Anne-Sophie Bailly (2021) que je vous recommande vivement !

HalloSpaceboy
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le 27 déc. 2023

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