Face à ce film, moi, je me suis posé une question toute bête : c'est quoi ce qu'on appelle en France un « auteur » ?
Parce que, s'il y a bien chez nous un terme dont on ne cesse de nous rabâcher les oreilles c'est bien celui-là : films d'auteur, politique des auteurs, impossibilité de dissocier l’œuvre de l'auteur... C'est un véritable mantra national.
Et de ce que j'ai cru comprendre, ce « Roubaix, une lumière » est un digne représentant de notre cinéma d'auteur à nous. Film multi-nommé au César, réalisé qui plus est par un Arnaud Desplechin habitué des festivals, on a donc visiblement affaire là à un spécimen de premier choix.
Or j'avoue que ça m'interpelle qu'on puisse voir dans ce « Roubaix, une lumière » la moindre expression d'un quelconque auteur. Parce que de ce que j'en ai compris, être auteur c'est avant tout être plus qu'un simple faiseur : c'est se construire un style ; c'est décliner un cinéma à soi, aisément identifiable. Et si certains réagiront sûrement en arguant qu'on reconnaît tout de suite un film d'Arnaud Desplechin au milieu de mille autres, ce qui n'est certes pas totalement faux, je considère malgré tout pour ma part que cette affirmation n'est pas non plus totalement vraie.
En fait, tout dépend du référentiel de départ.
Si vous mettez ce « Roubaix, une lumière » au milieu de tous ces films qui ont été capables de trouver un distributeur en 2019 alors oui, effectivement, difficile de louper le style Desplechin.
Mais franchement, si vous le mettez au milieu de productions amateurs, voire des productions de BTS audiovisuel, eh bah le style Desplechin saute tout de suite moins aux yeux.
Par exemple, l'introduction de ce film faite d'images tremblotantes qui s'enchaînent avec des fondus dégueulasses, moi je vois ça assez régulièrement, et notamment dans des productions de BTS audiovisuel...
Ces plans instables filmés à l'intérieur d'une voiture, ça aussi j'ai déjà vu ça dans des productions de BTS audiovisuel...
Et même chose pour les faux-raccords, pour les coupes sauvages entre deux plans quasiment similaires, pour les erreurs chronologiques d'assemblage de séquences, pour les dialogues qui se répètent et qui flinguent la fluidité de la narration, pour les musiques qu'on déverse aléatoirement sur le récit. Tout ça je l'ai déjà vu mille fois dans des films de BTS audiovisuel...
Et tout cela a une raison : il se trouve que chacune de ces marques est propre à l'amateurisme.
Ce sont les erreurs classiques du débutant.
Les maladresses de celui dont le regard n'est pas encore exercé...
A dire vrai les films de Desplechin ne sont pas singuliers parce qu'ils sont l'expression d'un cinéma à part. Non.
Les films de Desplechin sont des films singuliers parce qu'ils sont les seuls de cet acabit à trouver le moyen d'être exploités.
En fait on n'a pas affaire ici à du cinéma d'auteur mais plutôt du cinéma de réseau.
Un cinéma qui sert la soupe à une bourgeoisie ravie d'avoir ici un magnifique spécimen servant sa cause.
Car si « Roubaix, une lumière » est difficilement compréhensible pour quelqu'un qui cherche à l'appréhender comme une œuvre de cinéma, ce film devient particulièrement limpide pour quiconque fait l'effort de le cerner comme une œuvre de cinéma « d'arts et d'essais ».
L'art bourgeois n'a que faire de la technique. Seul compte pour lui l'utilité sociale de l’œuvre.
Or un film utile est un film qui conforte l'ordre social en place.
Il doit avant tout véhiculer une représentation du réel qui soit conforme aux idéaux de la classe dominante.
Et ici, toutes les cases sont studieusement cochées.
D'un côté on a les pauvres qui crient pour un rien, se déchirent entre eux et vivent dans des courées prisonnières d'une faille temporelle qui les maintiennent désespérément ancrés dans un XIXe siècle germinaliste. Il s'agit d'un peuple illettré qui tue pour un rien et qui est sauvé de la sauvagerie par l'ordre bourgeois.
Et de l'autre côté on a donc les garants de l'ordre bourgeois. On a le commissaire vertueux admirateur de chevaux. On a le jeune policier guidé par sa foi catholique. On a les habitants bien dociles qui se contentent de leur sort et aiment leur prochain malgré la misère...
Et puis bien sûr - histoire de bien montrer qu'au XXIe siècle l'argent n'a plus d'odeur - on veillera bien à distribuer les couleurs de peaux et les patronymes de personnages de telle manière à ce qu'on n'entretienne aucun cliché raciste. (Quelle délicate attention...)
Ainsi ce Roubaix de Desplechin a beau être un paroxysme du fake que ça ne dérange finalement pas grand-monde. On peut tourner des scènes de métro roubaisien ailleurs qu'à Roubaix (parce que visiblement le vrai métro roubaisien ne fait pas suffisamment roubaisien au goût de Desplechin) ; on peut aussi tourner dans des courées abandonnées mais en les faisant passer pour des courées encore habitées (parce ça incarne visiblement plus le Roubaix vivant tel que Desplechin le voit plutôt que le vrai Roubaix où les gens vivent vraiment) ; et puis on peut même aller jusqu'à s'amuser à faire parler des Arabes avec un accent ch'ti - parce que c'est drôle hein les clichés ! - quand bien même en plus de dix ans de boulot à Roubaix je n'ai jamais croisé ce type de spécimen.
Au fond, dans ce film, il n'y a que ça qui compte : le fantasme.
Et pour s'en convaincre, il suffit d'ailleurs de voir comment on se cogne de tout le reste.
Après tout, qu'on assiste à un polar encore plus mal construit qu'un téléfilm de France 3, ça n'a pas l'air de déranger.
Que l'intrigue, après avoir barboté à droite et à gauche, finisse par s'éterniser presque une heure sur une affaire dont tous les enjeux sont connus au bout de deux minutes, ça non plus ça n'a pas l'air de déranger.
Et que le film nous serve des personnages caricaturaux au possible, avec une distribution parfois farcesque (Antoine Reinartz étant de loin le plus risible de tous), là non plus ça n'a pas l'air d'émouvoir qui que ce soit.
Alors « auteur » dites-vous ?
Eh bien non, pour moi, Desplechin n'a rien d'un auteur.
Il est juste un valet.
Un chien de garde.
Une danseuse.
Personnellement je ne mange pas de ce pain-là.
Les simples expositions de misère fantasmée - les pornos bourgeois réalisés par des tâcherons sans talent ni dignité - très peu pour moi...
Après tout, à chacun ses auteurs...