Assistant réalisateur de formation, ayant participé à de nombreuses productions depuis 2001, Jang Hoon s’installe finalement dans le fauteuil de réalisateur en 2008, pour proposer ‘’Yeong-hwa-neun yeong-hwa-da’’, qui pourrait se traduire en français par ‘’Les Films sont des Films’’. Si c’est là sa première expérience derrière la caméra, il n’en est pas moins fort d’une grande expérience.
Cela pourrait expliquer la dimension ultra-méta donné au projet, tellement le film s’amuse à se jouer des frontières entre le réel et la fiction. Oscillant sans cesse entre le tournage du film dans le film, articulation principal du récit auquel nous assistons. Fabriqué en toute complexité, multipliant les différentes strates qui font du métrage un objet riche et une expérience fun.
‘’Yeong-hwa-neun yeong-hwa-da’’ c’est l’histoire croisée de So Ji-sub, leadeur d’un gang criminel local, et Kang Ji-hwan, un acteur soupe au lait incontrôlable. Alors que le premier rêve de devenir comédien, le second aimerait lui être un gangster. Ce qui explique qu’il passe son temps à chercher à la bagarre à tout le monde, et se jeter dans la mêlée dès que possible.
Sur le tournage, le comédien star Kang Ji-hwan interprète un gangster, auquel il s’identifie pleinement, peut-être même un peu trop. Repoussant les limites de l’Actor Studio à tel point qu’il passe son temps à envoyer les cascadeurs à l’hôpital. Se donnant à fond, il vit littéralement son rôle, au point d’en devenir ingérable.
Par hasard, il croise le chemin de So Ji-sub, avec lequel il sympathise. Ce dernier lui fait mention de son désir d’entrer dans l’industrie cinématographique. Ni une ni deux, Kang Ji-hwan lui propose un rôle, pour en faire sa co-star dans le métrage qu’il est en train de tourner. Le gangster accepte à une seule condition : que les bastons ne soient pas chorégraphiées, mais qu’elles soient réelles.
Sur ce postulat, assez amusant il faut dire, Jang Hoon s’éclate à faire évoluer ses personnages, en les menant de désillusions en désillusions. Les deux protagonistes ont des attentes de la vie, et aspirent à devenir ce qu’ils ne sont pas. Pourtant ils essayent tout ce qui est à leur portée pour y parvenir. Cependant tout ce qui les guette c’est l’échec. Cela donne lieu à des séquences particulièrement violentes, et réalistes, où l’hémoglobine coule à flot, et les os craquent sous les assauts répétés des poings.
En résulte une œuvre oscillant entre un ton légèrement comique, supplanté par une dimension ‘’action’’ qui correspond mieux à l’ensemble. Proposant des séquences de bagarres spectaculaires, auxquelles répondent des limites malmenées entre la réalité et la fiction. Que ce soit le film du film, où l’objet auquel nous assistions, se dégage un réalisme authentique, semant parfois le doute sur la nature fictionnelle des bastons.
Tout est d’ailleurs fait pour semer le trouble. Ainsi plusieurs subtilités se cachent dans le métrage. Des membres de l’équipe technique de ’’Yeong-hwa-neun yeong-hwa-da’’, ainsi que le producteur et le monteur, sont présents devant la caméra, occupant leur propre rôle dans le film tourné dans le film. La malice est même poussée jusqu’à laisser apparaître des personnes en train de lire le véritable script de ‘’Yeong-hwa-neun yeong-hwa-da’’.
Des posters du film, datant de sa production sont également présents en arrière-plan, ainsi qu’une affiche de ‘’Shi gan’’ (2006) de Kim Ki-duk, le scénariste. Alors je précise, j’ai appris tout ça après l’avoir regardé, en me renseignant, ce qui promet une seconde lecture enrichie d’une multitude de détails, qui ne sont point surprenant tellement la diégèse même du film colporte un besoin de se faire témoin de ses coulisses.
Parfaitement rythmé, avec une mise en scène d’une grande clarté, que viennent enrichir quelques audaces des plus bienvenue. À l’instar de cette scène de combat hallucinante dans la boue, où le sang et les bleues s’effacent sous la viscosité marronnâtes. Jang Hoon convoque ainsi une violence particulièrement crue, très présente dans la production coréenne de l’époque. Laissant sous-entendre une banalisation de cette violence dans la société.
Car s’il est à voir plus comme une sorte de délire méta, des plus aboutie, le film ne s’épargne de portrayez une critique sociétale caustique, à travers le décalage des classes sociales. En effet, l’impunité de Kang Ji-hwan lui est assuré par son statut, étant issu de la bourgeoisie. Quant à So Ji-sub, un type des bas quartiers, il n’a pour s’élever de sa condition, trouvé que la délinquance. Bien que son rêve est d’être acteur.
Sans aucune trace de manichéisme, il n’y a pas un gentil Kang et un méchant Sub, ou l’inverse, c’est en toute mesure que les personnages sont construit. À tel point qu’ils en deviennent touchant par leur humanité confondante. Bien que d’une grande fragilité, puisque peut-importe ce qu’ils entreprennent, lorsque tout semble aller pour le mieux leurs appartenances sociales les rattrapent.
Est également présente au cœur du récit, une réflexion sur la vanité et la rançon du succès. Une star peut se permettre tous les caprices, puisqu’elle fait de la thune personne ne lui dira rien. Tant qu’elle fait de la thune. Mais la place est éjectable, et la possibilité d’un échec est constant. Il en va de même pour le gangster, à la tête d’un gang rien ne lui garantit que d’un jour à l’autre il peut se retrouver supplanté par des rivaux. Où simplement passer par les cases prison ou morgue pour ses méfaits.
Bien que tout oppose So Ji-sub et Kang Ji-hwan, ils sont en fin de compte les deux faces d’une même pièce, et s’avèrent plus complémentaires qu’antagonistes. De deux être qui semblent dans un premier temps particulièrement différent, le structuralisme ambiant de l’œuvre fait que leurs deux parcours de vie prennent, le temps du tournage, la seule et même direction.
En positif ou en négatif, c’est ensemble qu’ils avancent, pour en apprendre un plus sur l’autre et sur eux-même. Le comédien qui se veut gangster n’est rien d’autre qu’un comédien qui désire se donner une image de type sulfureux. Que lui permet son statut de star. Le gangster qui se veut comédien n’est lui rien d’autre qu’une petite frappe de menus larcins, ne pouvant se prétendre autre que ce qu’il est fondamentalement. Son statut de hors-la-loi ne lui permet pas de s’élever socialement. Sa place dans le film n’est dès lors qu’une fiction.
Malgré sa construction et sa démarche, ‘’Yeong-hwa-neun yeong-hwa-da’’ n’est pas pour autant une œuvre qui se prend la tête, au contraire même, elle brille plutôt par sa simplicité et sa finesse. Apportant une réflexion limpide sur une thématique appuyée par sa dimension à mélanger sciemment réalité et fiction, pour appuyer son propos, et non pas l’inverse.
Ce n’est pas là un film se prenant pour plus malin qu’il ne l’est, il n’en a absolument pas la prétention. C’est juste une œuvre qui parle admirablement bien de cinéma, avec deux aventures concrètement humaines, observées minutieusement par la caméra d’un cinéaste qui pour sa première réalisation propose une entrée forte en la matière.
-Stork._