Le monde montre ses possibilités.
Le monde commence par le regard de spectateurs avides, des voyeurs. Le personnage du spectateur est un pervers qui veut voir des fantasmes indéterminés se réaliser. Ils pensent qu'avec leur volonté de voir ils sont les maîtres du monde, que le monde leur doit quelque chose et qu'il va les satisfaire. Comme le monde est coquin, il va leur répondre. Ils regardent, ils attendent que quelque chose se passe. Rien ne se passe. Quelqu'un voit quelque chose, et tous les regards s'attroupent alors dans la même direction. Leur envie nourrit l'image de l'action devant eux, mais eux restent complètement passifs, entièrement spectateurs des effets improbables qui vont se dérouler sous leurs yeux. Le seul point commun est cet amas de regard qui en s'accumulant provoque l'image. En réaction, dans le monde un effet rallie à lui des effets du même type, qui l'entraînent à évoluer. En restant à l'écran, il devient une règle pour le monde, il y fait exister une matière qui bouge, et qui sert d'excuse et de point de départ à "ce qui peut arriver". La petite victime gratuite choisie pour le rôle de la matière est un pneu. C'est un candidat idéal : inintéressant au premier abord, objet utilitaire par excellence dans le monde de tous les jours, c'est l'objet dont on attend rien. Devant un pneu qui bouge spontanément, la réaction de base est "tu te fous de ma gueule?". C'est l'absurde, la farce, l'effet qui nous échappe mais qui à force d'insister devant la rétine va nous forcer à raisonner, à percer le mystère, à voir quelles règles on on peut réinjecter à l'intérieur : le curieux "qu'est-ce qui le fait bouger?" ou l'incrédule et naïf "où il veut en venir ?"
Le pneu fait ses premiers pas dans le monde, il teste ses mouvements possibles. Arrivé dans un motel, il découvre le "se regarder dans une glace". En plus de sa propre image, l'image renvoyée est un flash de souvenirs, comme une image rembobinée du monde mais qui se serait créée elle aussi par l'effet d'entraînement : ce ne sont peut-être pas de vrais souvenirs, mais l'existence de cette image pneu en appelle d'autres. Des images du même type peuvent tout aussi bien constituer des souvenirs, elles sont simplement dans d'autres temps, ce sont des images "en face" des images. Le pneu doit donc courageusement faire face à ses souvenirs, en même temps qu'il apprivoise "le souvenir". Il a donc découvert le mouvement, l'image, et que des images sont ailleurs et pointe sur quelque chose qui suit nos mouvements ("le miroir"). Ce petit monde créé est tout de suite menacé par le spectateur jaloux : le pneu ne se rapprocherait-il pas dangereusement de la gloire de l'espèce humaine : la conscience ?! L'humanité va t-elle se faire rouler par un pneu ? En tout cas devant le regard impuissant des spectateurs, c'est comme si la vie leur faisait un enfant dans le dos, en leur expliquant que c'est un peu grâce à eux si il a pu voir le jour, peut en deux trois mouvements approcher ce que l'homme a mis des siècles à construire, le tout sans leur indiquer une quelconque explication sur "ce qui se passe", et "qui permet que des choses pareilles se passent ?!" L'espoir d'y voir plus clair un jour est lancé : une enquête qui peut se résoudre, un pneu qui peut se détruire… Le film entretient ce jeu entre l'attente du spectateur, la vie qui y réagit en feignant de donner des indices de résolution, alors qu'elle réagit pour elle même : elle fait ce qu'elle veut ! Mais pour ce faire, elle prend bien soin d'épuiser la patience du spectateur. Elle se nourrit de l'attente avide des yeux voyeurs pour ses propres besoins : elle transforme le regard qui essaie de s'inoculer en elle, elle utilise l'attention du spectateur pour se dessiner une voie, elle se crée perpétuellement de nouveaux spectateurs, de nouveaux regards curieux, puis les tue pour se fabriquer une nouvelle jeunesse, de nouvelles possibilités de vie : en attirant autant d'attention, en créant autant de regards, la vie crée un monde autour d'elle, elle s'entoure d'un monde, ce monde infini des images qui ont acquis la force et la liberté d'aller "quelque part", devant elles et non plus dans les yeux/intentions des spectateurs !