Spoilers légers, les spoilers plus importants sont masqués
Deux protagonistes dans ce film apparemment totalement absurde, mais qui, sous ce vernis, recèle une "vraie" critique portée par Quentin Dupieux.
D'abord le public. Un groupe composé de personnes des deux sexes, de tout âge et de toutes couleurs, aux caractéristiques très diverses permettant à tout un chacun de s'y identifier. Ce public, c'est donc nous. Les spectateurs. Ils assistent à une séance de cinoche, soit un scénario préétabli, pensé à l'avance. Un film, quoi...
Le deuxième protagoniste ? Un pneu. Mais pas n'importe lequel ! Il est noir. Et en plus, il est vivant, télépathique et... serial killer.
C'est ce pneu, incarnation caoutchoucquienne de l'absurde de Dupieux, qui va venir foutre sa merde dans le scénario bien carré qu'on faisait jusqu'alors parfaitement avaler au public, jusqu'à ce qu'il soit littéralement empoisonné par un homme qu'on devine être le sous-fifre du réalisateur ("son maître", lorsqu'il lui parle au téléphone). Ce dernier peut alors, sans soucis, arrêter son film sans avoir la pénible tâche d'en trouver une fin convenable.
Sauf que rien ne va se dérouler comme prévu. Un membre du public ne décède pas suite à l'empoisonnement, les acteurs sont donc obligés de continuer leur scénario en improvisant, et surtout, en prenant en compte le fameux pneu tueur.
Après maintes péripéties plus mindfuckestes les unes que les autres,
le pneu se fait enfin tuer par les policiers-acteurs et ainsi, le réalisateur peut clore son film.
Sauf qu'une fois la séance terminée, le pneu va se réincarner en tricycle, lui aussi vivant, lui aussi télépathe et lui aussi serial killer. On le verra rouler sur les routes, donnant vie à tous les pneus qui l'entourent, qui vont le rejoindre jusqu'au point d'orgue de leur périple : Hollywood.
La scène finale est la vision de la colline sur laquelle se dresse les hautes lettres blanches de la ville du cinéma américain, avec, en premier plan le tricycle et son "armée" en caoutchouc, terriblement menaçants.
Certes, le film peut se voir, malgré la photographie parfaite, des effets spéciaux crédibles et l'excellente bande-son, comme un simple mind-fuck bien foutu mais totalement délirant. L'oeuvre d'un type shooté à l'héroïne, par exemple. Avec certes des problèmes de rythmes, mais qui se laisse volontiers regarder.
Mais là derrière, il y a bien quelque chose d'autre. Un fond, une verticalité. Une critique du cinéma actuel, des blockbusters que l'on vend à la chaîne sans porter le moindre soin au scénario. Une critique des réalisateurs qui "empoisonnent" (cette fois métaphoriquement) le public avec de la merde, dont la seule vocation est de faire de l'argent.
Mais aussi une véritable lettre de menaces lancée à ces grands manitous. Celle des Quentins Dupieux, des p'tits réalisateurs pas forcément connus, mais qui proposent un travail de fond, une autre vision, un nouveau cinéma, qui risque bien de faire exploser (à la manière du pneu dans ce film) les machines à fric de l'industrie hollywoodienne, et réussir l'exploit de faire penser ce public.