On est champions, on est tous ensembleuuuuh !
La course automobile est un genre à part entière au cinéma peu forcément représenté. D’emblée, on retient le légendaire et visionnaire Grand Prix de John Frankenheimer sorti en 1966. D’autres films sympathiques lui ont succédé, notamment Le Mans et Jours de Tonnerre ainsi que des bien médiocres comme Michel Vaillant ou encore Driven. Rush marque le retour de Ron Howard après son dyptique moyennement apprécié autour des bouquins de Dan Brown ainsi qu’un dernier film, Le Dilemme, qui ne s’est même pas payé une sortie en salle par chez nous. Il est assez intéressant que Ron Howard revienne avec ce genre délaissé à une époque où le sport automobile, particulièrement la Formule 1, ne suscite plus la même passion qu’autrefois. Afin de proposer une histoire néanmoins intéressante, Howard planche sur la célèbre rivalité entre Niki Lauda et James Hunt, l’occasion de faire une plongée dans la passionnante Formule 1 des années 70. J’en profite aussi pour conseiller l’excellent film de Roman Polanski à ce sujet, Week-end of a Champion, qui ressortira prochainement en salle.
Rush était très attendu par les amateurs du genre, cela va de soi. Tient-il ses promesses ? Dans l’ensemble disons que oui. Howard s’est posé la question sur comment repenser le film de course en 2013 sans souffrir trop des comparaisons avec Grand Prix, qui est une influence évidente (bon de toute façon il a influencé presque tout film qui comporte une bagnole). Là où Grand Prix se distinguait dans une sorte d’essai purement cinématographique virtuose expérimentant sur des effets de montage, Rush se concentre sur ses personnages et leur psychologie. Si vous attendez un film qui comporte uniquement des scènes de course, vous allez être déçu. Plus qu’un film de rivalité sur le bitume, Rush évoque le dépassement et la mort. C’est un film sur le danger et l’obstination de certains hommes à aller à son devant tels des irresponsables. Le personnage de Niki Lauda, introduisant le film, ne manque pas de rappeler le caractère souvent funeste des courses des années 70 : « à chaque fois que je monte dans cette voiture, j’accepte un risque de 20% que je n’en ressorte pas vivant ».
Dans cette logique « au plus près des personnages », Howard articule tout son film de manière cohérente à travers une mise en scène comportant beaucoup de plans serrés et de plans tournés en longue-focale. Il isole ses personnages et surtout joue sur les sensations. Ainsi, les courses possèdent très peu de plans large (comme ceux des captations TV), et sont surtout constitués de caméras embarqués ou d’inserts sur les réactions des pilotes. Pris séparément, chaque plan ne possède pas forcément sa propre lisibilité, c’est à travers le montage que la compréhension de la scène s’effectue dans les sensations qu’il procure. Quiconque a déjà piloté en course se remémora ces sensations devant Rush et ses pics d’adrénaline. Ce découpage en close-up repose également sur une solide technique. Au premier abord, sur une bande-annonce regardée sur un ordinateur, on pourrait s’interroger sur le caractère bâtard des images de Rush, un film tourné en numérique puis post-produit pour obtenir une esthétique de pellicule néanmoins assez stylisée. A l’écran le résultat est assez agréable et surtout cohérent en terme d’immersion. Bien des plans ont par ailleurs sacrément de la gueule, notamment quelques ralentis très prononcés, qui jouent avant sur la sensation (rien à voir en terme de film, mais WKW utilise le même dispositif dans The Grandmaster).
Je regrette néanmoins que le film ait parfois des baisses de rythme. Après une ouverture assez forte intervient dès lors une première baisse de rythme, avec un type de séquence intervenant à plusieurs reprises dans le film. Le problème n’est pas tant les séquences faisant intervenir la psychologie des personnages de manière générale, juste certaines qui sont de trop, ou alors pas assez bien écrites. Sur le plan de l’écriture on regrette d’ailleurs que le personnage de James Hunt soit assez limité (l’écriture joue sur son image publique mais ne va pas vraiment plus loin), en plus d’une interprétation pas hyper-convaincante de Chris « Thor » Hemsworth. A cela je nuance tout de même qu’elle reste honnête. A côté, il y a Daniel Brühl qui campe Lauda et c’est là où le contraste se ressent. Derrière ses airs prétentieux et son physique moins attirant que celui de Hunt, Lauda magnétise tout le charisme du film. L’écriture de Lauda met pour le coup véritablement bien avant la détermination à toute épreuve du personnage. Pour ceux qui ne connaissent éventuellement pas, ce champion du monde est connu pour avoir repris la compétition 42 jours après un accident extrêmement grave qui lui a valu d’être quelque peu défiguré des suites d’intenses brûlures.
A propos d’accidents, Rush ne se refuse pas une certaine violence. Comme je le disais plus haut, dès le début du métrage, la mort est présente dans le film. La Formule 1 est un sport dangereux. Howard ne fait pas l’impasse dessus et ne souffre pas des défauts qu’aurait pu lui imposer une classification PG-13. Autant dire que certaines scènes de soin de Niki Lauda ne sont pas jouasses. C’est bien que ce film de genre ose dans cette direction.
Chose curieuse, après avoir attendu bien des critiques concernant la musique de Zimmer, elle ne m’a pas gêné outre-mesure. N’étant pourtant pas spécialement fan du travail d’Hans Zimmer (que j’ai même tendance à détester sur sa période moderne), j’ai trouvé son travail et honnête compte-tenu des attentes. On est clairement dans le registre de l’épique, probablement too much parfois (surtout comparé à la sobriété de Grand Prix sur ce plan), mais je n’ai pas trouvé cela gênant ou moche. A la rigueur je reproche davantage à Ron Howard d’avoir trop utilisé dans son montage le main theme du film.
Howard expose donc un certain savoir-faire et va plus loin dans son dispositif qu’il ne l’a jamais fait dans ses autres films, perpétuellement influencés par un classicisme cinématographique (ce qui n’est pas forcément un reproche). Ici il évolue avec la technologie moderne pour proposer quelque chose d’assez nouveau et agréable. Disons que le coup de la caméra à l’intérieur du casque, ça m’a plutôt séduit. Idem lors de ces expérimentations fulgurantes de montage sur la puissance des bolides qui mettent plutôt bien en valeur le « maniérisme mécanique » que développe Howard. Une manière intéressante de repenser le caractère un peu expérimental du montage de Grand Prix mais avec les standards actuels. Dommage néanmoins qu’il ne pousse pas cela plus loin. Il se fend néanmoins d’un hommage direct au montage de Grand Prix à la fin de son film, avec ces fameux split-screens verticaux.
Finalement, Rush s’avère être un bon film, le film de voiture enfin attendu par des fans du genre désespérant depuis bien trop d’années. Je salue également l’ambition de développer un film sur la Formule 1 des années 70 à une heure où tout le monde n’en a plus rien à foutre, tant du sport que du genre au cinéma. C’est couillu, et tant mieux.