Lors de ma tendre enfance, j'ai attrapé le virus de la Formule 1, sport chiant et sans intérêt pour certains, et vraie passion pour les autres, passion pour moi qui m'a été transmise par mon oncle et mon père.
Tous les Dimanches de course j'étais scotché devant mon poste de télé avec mon Père, on attendait que la horde d'une vingtaine de furieux soit libérée, des gladiateurs risquant leur vie à 300 km/h, roues contre roues, prêts à mourir...pour le plaisir, aucune liberté à gagner, seulement la gloire, la frime, la flambe, les filles... car la F1 est un sport de riche, à moins d'être un fils à papa ou d'avoir des sponsors pour payer sa place, on fait comme moi et on se console en regardant ça à la télé dans son canapé en s’imaginant être à leur place.
Niki Lauda fut d'ailleurs le premier à payer pour s'offrir un baquet et le seul à devenir champion du monde, toutes les autres tentatives de ce genre, et il y’en a encore beaucoup, n’ont révélées que de médiocres pilotes uniquement présents pour la somme qu’ils apportent à leur écurie, ce qui permet à cette dernière de survivre.
J'attendais donc fébrile que les feux donnent l’autorisation de lâcher la horde et mon cœur s'accélérait lors du chaos que constituait le départ avec les risques d'accrochages et les duels sans concession qui s’entamaient, j’espérais que mes favoris passent sans encombre et gagnent quelques places.
C'était parti pour plusieurs dizaines de tours de circuit, un peu plus de 300 kilomètres à parcourir en moins de 2 heures avant peut-être d’accéder à la gloire.
J'ai vibré pour des pilotes, j'en ai détesté certains, eu peur lors de certains accidents spectaculaires, souvent sans gravité mais parfois fatals.
Le 1er Mai 1994, j’étais sur la route et j'écoutais le Grand Prix de San Marino dans la voiture de mon oncle, je m'en souviens tellement bien...en allumant la radio un peu après le départ de la course j'entends encore le commentateur dire "nous allons prendre des nouvelles de l'état de santé de Senna", innocemment je pensais que c’était juste une façon d’annoncer que le brésilien avait un problème avec sa voiture, comme lors des 2 précédentes courses, son transfert chez Williams Renault ne lui était pas aussi bénéfique que pour son ex meilleur ennemi, Alain Prost, alors à la retraite.
Puis il commence à parler d’un accident, à le décrire et je commence à réaliser qu'Ayrton a tapé très fort et ne s'en remettra pas.
Le lendemain dans la cour du collège tout le monde ne parlait que de ça, fans de F1 ou pas.
C’était la fin d’une époque, nous venions de vivre la fin d’une légende, la mort d’un dieu pour toute une nation.
Suite à ça des mesures de sécurité drastiques ont été mises en vigueur, renfort des habitacles, limitation de vitesse dans les stands, et même l’architecture des voitures pour en limiter la vitesse, la F1 est devenue beaucoup plus sûre, les pilotes se sortaient presque à chaque fois indemnes, ou avec des blessures mineures, d'accidents très spectaculaires, les voitures ne prenaient plus feu lors d'un crash, plus de mort...jusqu'au Grand Prix du Japon en 2014 où Jules Bianchi, futur espoir français inconnu du grand public mais sous la tutelle de Ferrari, heurte en pleine tête un véhicule venu dégager une voiture sortie de piste au même endroit le tour précédent, il est décédé en Juillet 2015 après 9 mois de coma et a fait connaître la mort a une génération de pilotes qui ne l'avait jamais connu en course...43 pilotes morts en formule 1, pour la gloire, pour le défi !
En 2010 j'ai pu voir le film "Senna" d'Asif Kapadia, certes c'est un peu hagiographique qu'un documentaire, certes ce n'est pas forcément très objectif quand ça parle de la rivalité Prost/Senna, mais quel script, quelle montée en puissance jusqu’à la fin tragique. Il n'y a plus qu'à appeler un scénariste, romancer un peu tout ça et on tient un super script.
Je commence à rêver d'un Aaron Sorkin au scénario et pourquoi pas d'un Fincher à la mise en scène ( je venais de voir « The Social Network » et je me disais que s’ils avaient réussi à me passionner avec la création de Facebook ils pouvaient faire un film monstrueux sur ce sujet ). Le film Prost/Senna serait ultra cinématographique, cette histoire de rivalité de 2 adversaires qui se poussent l'un et l'autre à se dépasser à cause de leur haine réciproque, le sport n'est ici qu'un prétexte à une histoire humaine, l’un n’aurait jamais été aussi bon sans chercher à se surpasser pour dépasser l’autre. Classique mais efficace.
Puis à l'été 2012 j'entends parler d'un projet de film sur la formule 1 qui aura pour sujet la rivalité de 2 pilotes des années 70 : James Hunt et Niki Lauda...bon ce n'est pas ce que j'attendais, les pilotes me parlent moins, je ne connais que vaguement Hunt, et la présence de Ron Howard ne m'enchante pas des masses, je ne le trouve pas mauvais mais pas forcément très inspiré et trop académique, je commence à craindre un nouveau "Driven", quant au scénariste Peter Morgan il m’est totalement inconnu.
Du coup je commence à avoir peur mais entre temps je vois Frost/Nixon du même duo Morgan/Howard ce qui a plutôt tendance à me rassurer, je vois une première bande annonce qui semble annoncer un film qui va privilégier le côté course automobile, ce qui ne sera au final pas le cas, mais le trailer est plutôt bon, ça ne fait pas cheap et ça a l’air crédible et bien foutu, puis les mois passent et je lis des critiques très positives de privilégiés ayant pu voir le film en avant-première.
L'espoir, quelque peu émoussé par la période choisie et par le réalisateur aux commandes, renaît et je me dis que je vais peut-être l'avoir mon film Senna/Prost par procuration.
Puis arrive le jour fatidique, je m'installe dans la salle de ciné et je prends une des plus grosses claques jamais prises devant un film, et ce n'était pas chose facile, un duo d’acteurs parfait, un script efficace qui iconise les personnages, ce sont les 2 seuls pilotes à réellement exister de tout le film, la petite trentaine d’autres pilotes présents à chaque course faisant juste figuration dans le duel pour le titre que se livrent les 2 rivaux.
La mise en scène est inspirée, voire expérimentale par moments, la musique mélancolique à souhait et la reconstitution d’époque en ce qui concerne les courses m’a semblé tout à fait convaincante pour ce que j’en connais.
Pendant les scènes de courses Zimmer fait quand même un peu dans le bourrin, pléonasme, mais c’est en partie caché par le bruit des moteurs, on est loin du fracas de la bouillie sonore indigeste de The Dark Knight Rises et de Man of Steel.
Les scènes de course, à part la première qui fait un peu pépère et peu inspirée, sont excellentes autant dans l’impression de vitesse et dans la violence des impacts que dans la réalisation.
Le directeur de la photographie fait des merveilles a bien des reprises et en particulier lors de la scène qui précède le départ de la course du Mont Fuji, combiné à une utilisation intelligente du ralenti, lorsque les pilotes s’élancent depuis la grille de départ, et une musique qui sublime le tout, on tient une des plus belles séquences qui m’ait été donné de voir sur grand écran, d’une puissance émotionnelle énorme au vu des enjeux à ce moment de l’histoire.
En guise de fin Ron Howard nous offre un joli dialogue entre Hunt et Lauda dans lequel chacun reste fidèle à lui-même et accroît l’émotion en insérant des images des vrais pilotes.
En résumé on assiste à un métrage parfaitement rythmé, drôle et triste à la fois et à une épopée furieuse accessible aux plus hermétiques à la Formule 1.
Une belle aventure humaine de gladiateurs des temps modernes qui risquent leur vie pour l’adrénaline, pour se sentir vivre mais aussi pour le plaisir et la gloire.