S21. La machine de mort nous précise le titre. Le «khmère rouge» en fond sonore. Propagande haut-parlée en chants et monologues. La nuit efface les alentours. Ne fait qu'exister le batiment. S21. Ce noir fait redoubler en existence le hors-champ. Retour en régime khmer rouge. Plus un musée mais une prison avec gardes qui patrouillent. La caméra s'accole à l'un d'eux. Pas très vieux. L'on spécule qu'il fut jeune dans ses heures répressives. Peut être même mineur.
Un espace secondé par un autre. Plus restreint : un bout de couloir et une cellule. Le garde n'en franchira pas la frontière. N'ira pas au delà de la seconde fenêtre. Semble aussi enfermé que ses prisonniers. Prisonnier du cycle qu'il s'est fabriqué. De son être-machine. Tourne à vide. Machine sans prisonnier à presser mais qui presse encore. Presse dans le vide. Comme toute machine suffit de la relier à un courant et d'appuyer sur ON. L'observer faire son oeuvre sans oeuvre à produire. Se machiniser pour faire taire les affects ? Procédé utile pour oublier de désobéir.
Documentaire qui demande du jeu. Pas reconstituer mais rejouer. Rejouer S21. Capter et documenter cette réoccurence. Ces corps qui réadoptent leurs anciennes postures autoritaires. Qui réinvestissent les lieux qui ont permis ces postures. C'est par la réunion des lieux et des corps que pourront s'actualiser et s'incarner les affects autoritaires à l'image.
Dans ce rejeu Panh laisse la main au garde. Sa caméra ne franchira jamais le seuil de la cellule. Lui laisse sa scène, son espace. Au sein de celui-ci le garde est metteur en scène. Mets en scène et se met en scène. A du mal à tenir la ligne. Passe de la description distancée au dialogue directe avec les prisonniers imaginaires. Du «ils» au «vous» et «tu». Il ne regarde jamais la caméra. Il est ailleurs et ici. Dans les années 70 et en 2013. Il est resté là bas. Le corps n'oublie pas. Pourrait continuer longtemps sans s'arrêter. L'a déjà fait quatre années durant.
Plan séquence pour observer un individu qui séquence tout. Découpe en étapes chaque acte. «J'ouvre la porte» «Je rentre» «Je les frappe». Ordres, menaces et coups de gourdin en leitmotivs. Plan séquence: c'est par son unité spatiale et temporelle, sa durée, qu'on ressent l'enfermement. Enfermement dans une cellule. Enfermement dans un travail, dans des gestes. Dans un régime autoritaire. Celui des khmers rouges. Celui d'S21, lieu et machine répressive. Celui, enfin, secrété organiquement par les corps qui la servent.
Si le musée anesthésie la mémoire Rithy Panh vient en réveiller la chair.