Vas-y je raconte.
Les petits merdeux d'aujourd'hui auront sans doute du mal à comprendre cet état de fait, mais quand j'étais moi même un petit merdeux, on avait qu'une seule télévision à la maison. Ouais. Une seule pour tout le monde ! C'était pas beaucoup. Déjà à l'époque, ça faisait moins que deux, c'est dire. Et celui qui faisait autorité pour choisir le programme le soir venu, c'était celui qui rapportait le plus d'oseille à la maison naturellement. Autant vous dire que c'était ni mon frère, ni moi. C’était pas avec nos petites billes gagnées avec vice et tactique qu'on aurait pu faire le poids face au daron. Du coup on subissait souvent les westerns présentés par le chanteur qui baille lors de "La Dernière Séance", ou encore les divertissements pour vieux qui perdent la boule. C'est pas pour se plaindre, mais c'est qu'on en bavait à l'époque nous autres, les petits merdeux d'antan, fallait voir comme. On avait pas voix au chapitre. Vous vous rendez pas compte.
Et fut un soir, SOS Fantômes passait enfin à la téloche. L’événement. J'ai toujours été friand d'apocalypse moi, encore maintenant, de même que de surnaturel, maintenant encore, et SOS Fantômes promettait tout ça sur un plateau multicolore. Il me fallait absolument le voir ce film. Tout le monde en parlait à l'école, puis après l'école encore, c'était du phénomène. Si à 6 ans t'avais pas vu SOS Fantômes, t'avais raté ton enfance. La rumeur courait. Tu te faisais éjecter sans pitié de la classe à grands coups de pompe dans le train. Caillouté ! Molardé ! C'était recta. L'avanie garantie séance tenante, sans procès, le bannissement sur plusieurs générations. Ça déconnait pas à l'époque la société des gamins, fallait pas faire l'original.
Pour éviter cette honte à ma lignée et à moi-même, je demandai donc humblement à mon père le privilège de pouvoir visionner l'affaire. Pour faire comme les autres, pour la bonne cause.
Mais je pouvais toujours causer. Il refusa aussi sec et me congédia. Non c'est non qu'il lança. Ce qui reste assez cohérent comme façon de penser. Faut admettre.
Suite au refus catégorique du paternel, je devins alors chaudes larmes à m'en pâmer. Et il fallut que je chialasse en abondance pour obtenir une seconde audience auprès de mes vénérables ascendants, les convaincre du bien-fondé de ma requête. Mon bien-aimé frangin d'ailleurs, pas fou, suivit mon excellent exemple avec force enthousiasme. Il chouina à son tour avec l'atout non négligeable de pouvoir morver entre les sanglots. Du grand spectacle ! Et dans l'harmonieux duo de fontaine en larme mineur que nous formions lui et moi, il fallait bien admettre que l'on possédait un certain flot, une alchimie irrésistible, si bien que ma mère, qui s'appelait "Maman", fut facilement conquise par notre petit concerto larmoyant, et dés lors entreprit d'entamer les discussions avec mon auguste géniteur, qui s'appelait "Papa".
Les négociations furent rudes, mais de haute lutte, ma mère l'emporta. Mon père intrigué, voulut alors en savoir un peu plus sur l'objet de tant de jérémiades, et s’enquit de la chose à peu prés en ces termes : "Qu'est ce que c'est encore que votre merde que vous voulez voir ?". Aujourd'hui encore, j'implore le Tout-Puissant de pardonner ces mots à mon père. Il ne savait tout simplement pas ce qu'il disait. Parce que Ghostbusters, c'était tout sauf de la fiente putain ! Interdiction de dire ça. C'était du rêve. Du rêve avant d'aller se coucher et d'en rêver encore.
Vise un peu le tableau :
Trois galériens de l'université de Columbia paument leurs jobs au même moment. Direction le chomdu pour nos trois amis :
- Peter Venkman, la petite vedette du film, dilettante devant l'éternel, volontiers je-m'en-foutiste et charmeur, le genre à balancer sa petite blagounette en contemplant la fin du monde.
- Raymond Stantz, le ventripotent spécialiste du paranormal, capable de t'expliquer n'importe quel phénomène inexpliqué de la manière la plus expliquée du monde.
- Et Egon Spengler, le scientifique pur et dur, pas le genre à se marrer, sérieux et raisonné, balai dans le cul et look d'expert comptable associal. Tout le contraire de Venkman. Mec brillant néanmoins, le cerveau de l'équipe.
Sauf qu'un beau jour, l'idée lumineuse, la loufoquerie d'anthologie. Nos trois lascars décident de monter une entreprise de chasseur de fantômes, rien que ça. A cœurs vaillants rien d'impossible comme on dit. Les types montent leur petite affaire dans une ancienne caserne de pompiers située en pleine grosse pomme, et se dégotent le corbillard le plus mortel de toute l'histoire du cinéma afin d'assurer les trajets entre deux urgences ectoplasmiques (je l'avais même en jouet cette bagnole, petit con). Sans parler de leurs tenues de combats avec usines thermo-nucléaire intégrées dans le dos. La vraie classe internationale mon ami. Mon rêve secret était d'ailleurs de me pointer un jour à l'école avec l'une de ces combinaisons fantasques (l'espoir de réaliser ce rêve ne m'a toujours pas déserté après tant d'années).
Un quatrième larron se joint alors à l'équipée (le transparent Winston Zeddemore), une donzelle abrite un démon probablement sans papelards dans son frigo, et c'est parti mon kiki : du boulot dans toute la ville pour nos chasseurs de fantômes en herbe, comme s'il en pleuvait. C'est le forfait "Grand Spectacle" pour n'importe quel mouflet des eighties, le tourbillon des souvenances... Ripley qui fait de la lévitation au dessus de son lit... Rick Moranis qui se prend pour un clébard des enfers... Bouffe-tout qui bouffe tout... Zuul et Gozer le destructeur qui s'offrent la bamboula du millénaire en plein Nouillorque City... Un Bibendum Chamollow adorable en guise de grand méchant. C'est le grand carnaval des bizarreries qui parade, le pétard de fantasmagorie qui t'éclate aux mirettes, rempli de fantômes et de rires, de rires et de fantômes. L'ambiance de fin du monde pour de la fausse, durant laquelle on balancerait des confettis et des serpentins en se bidonnant tout du long. Et une fin qui finit bien aussi. Et un carrousel d'étoiles tourbillonnant dans nos yeux incrédules pour des années et des années.
Et mon père éberlué qui répétait : "C'est t'y con" à chaque scène.
Et ma gentille maman qui souriait jusqu'aux oreilles, rayonnante de nous voir rayonner.
Ah ! petit merdeux tu peux pas comprendre. Tu pourras jamais comprendre la peur irraisonnée de tomber sur Zuul entre la moutarde et le roquefort en ouvrant la porte du frigo. Tu pourras jamais comprendre les concours de pipi, quand on sortait nos zigomards d'un air rigolard en criant à tue-tête "Surtout ne jamais croiser les effluves les mecs". Ah ! non, tu comprendras pas de quoi je parle quand je te confierai que pour beaucoup de chiards de mon époque, les films comme SOS Fantômes c'était un bout de l'Amérique dans ton salon. Un fantasme d'Amérique, l’entrebâillement d'un monde merveilleux. Un bout de fantaisie, un bout de lointain qui te tendait les bras avant d'aller de brosser les chicots pour te pieuter. C'était la propagande du rêve. Et il est précieux ce petit rêve pour un bambin, parce qu'un jour ou l'autre en grandissant, on le perd de vue ce soupçon de féerie, on le néglige, et on se réveille un beau matin avec la réalité définitivement enfoncée dans la gueule toute, comme pris de vitesse par la grande vie qui déboule. Ne subsistent alors que ces îlots de souvenirs fantastiques, cette ribambelle de petits fantômes flottants dans l'impalpable, vaporeux et tenaces. Ce reste de délire d'autrefois qui surgit à l'évocation d'une seule image ou d'un seul mot. Je ne sais pas à quoi rêvent les gosses d'aujourd'hui, mais j’espère juste qu'un jour ils pourront emmerder à leur tour les petits merdeux des alentours en leur disant à propos d'un film :
Putain l’émerveillement que c'était...
Putain les souvenirs...
Mille fois bénis soient mes parents.