Un an après avoir mis en scène Sartana, Gianfranco Parolini s’attelle à Sabata, personnage au nom similaire mais, surtout, prolongement d’un ton parodique qui fait entrer le genre dans une ère beaucoup plus légère. Si « l’homme sans nom » était un personnage sombre, taiseux et peu avenant, Sabata est un chasseur de primes atypique avec ses propres lois, mais surtout qui a hérité des gadgets de James Bond, s’apparente aux personnages de super-héros des BD et qui a tous les atours d’un trompe-la-mort. Personnage quasi hérité du surnaturel qui paraît immortel, il est capable à lui tout seul de nettoyer une ville en dessoudant cinquante adversaires en dix minutes. À la figure de l’anti-héros viril, torturé et violent succède donc un personnage invincible et narquois qui se joue des méchants notables et de leurs sbires. Finies la boue et la crasse, place à la classe d’un héros raffiné qui navigue gaiment dans un univers où l’ironie est reine.
À la fin des années 1960, le western italien a donc déjà dérivé dans la parodie avec Sartana et Sabata. Ce n’est pas encore la grosse déconnade à la Terence Hill et à la Bud Spencer qui poussera à l’extrême et à sa mort le genre, mais le western gadget fait la part belle au pur divertissement et s’éloigne clairement de la noirceur et de la violence des premiers efforts. Le curseur est encore bien maîtrisé et on a droit à un film léger qui manie humour et action avec suffisamment de douceur pour éviter la sortie de piste. Bien évidemment, le propos n’est plus aussi profond. Les notables en prennent, certes, encore pour leur grade, mais la charge politique est bien moins appuyée. On peut cependant voir dans le personnage de Banjo une image du Beatnik baladin qui, en réalité, n’en veut qu’à l’argent. Ce personnage ambigu interprété avec une jolie moumoute rousse par William Berger aurait dû être un des personnages les plus importants du film mais le trait étant sans cesse trop épais avec lui, il ne parvient jamais à totalement convaincre à force d’évoluer dans la zone grise. C'est dommage.
Le résultat, à mon sens, ne vaut pas la série des Sartana au ton, certes plus lunaire, mais dont l’incarnation par Gianni Garko est plus convaincante que celle de Lee Van Cleef. Si l’interprétation de l’acteur n’est pas en question, lui qui semble franchement bien s’amuser dans un rôle plus léger, on peine, en revanche, plus difficilement à l’accepter dans ce type de rôles. Il se crée ainsi un décalage entre le ce que représente l’acteur et le tournant pris par une partie du western italien. Cependant, les amateurs de Sartana retrouveront parfaitement le style du western gadget avec ce titre sympathique mais qui ne fait qu’exploiter un filon naissant. L’ensemble est léger et plaisant, mais la multitude des rebondissements en fin de parcours pourra paraître excessive aux amateurs de titres antérieurs à celui-ci.