J'y allais prudemment, comme dans tout film français jouant sur ses têtes d'affiche... ça s'accompagne tellement souvent d'un scénario mince comme du papier bible et de numéros d'acteurs parfaitement caricaturaux que je ne me lance jamais le cœur léger. Finalement, mes préventions ont été assez vite dissipées, car le personnage de Catherine Frot présente suffisamment d'aspérités d'entrée de jeu pour qu'on puisse s'y accrocher sans trop de peine. Sage femme un peu sur ses gardes dès qu'elle sort de sa petite maternité menacée par la gestion néolibérale actuelle du Service Public, à 49 ans, elle sait ce qu'elle ne veut pas et ça lui tient lieu de boussole. Facile de comprendre ce qu'elle ressent... vieille routarde malmenée par les politiques publiques, tout ça... D'ailleurs, une des scènes de la fin du film, où elle accouche une jeune femme qu'elle a mise au monde en début de carrière, 28 ans auparavant, sert de contrepoint à toute la mise en place du film avec un bel à propos. Pareil, ça interpelle un peu, dans les métiers qui ont un sens en soi, sens que les comptables actuels s'évertuent à anéantir à coup d'austérité factice. Bref, le petit film intimiste cache aussi une charge contre la France des experts financiers-rois, et ça n'est pas pour me déplaire. L'autre volet de l'histoire, centré sur l'éclosion progressive d'une certaine fantaisie sentimentale chez l'héroïne, ne manque pas non plus d'intérêt. La rencontre explosive entre deux modèles de femmes (la cigale et la fourmi, on connaît la chanson) évite l'écueil de l'excès binaire et nous emmène doucement vers une éclosion qui ressemble à une naissance. Et ça n'est pas désagréable à suivre, parce que ni caricatural ni donneur de leçons. J'aurais tendance à y voir une conclusion possible à la lente décomposition du monde que ma génération a connu... nous ne vivrons pas comme nos parents pensaient que nous vivrions, les enfants inventent déjà un monde que nous n'aurons pas créé, le pouvoir a sauté une génération, mais nous n'apportons pas rien pour autant. Nous représentons une sorte de transition, qui demande une grosse capacité d'adaptation mais que la sincérité la plus humble permet d'appréhender pleinement. Enfin, c'est peut-être juste ma lecture. Depuis des années, je prétends que nous n'apporterons rien politiquement parlant mais que nous ferons les meilleurs écrivains de tous les temps... et j'ai cru percevoir un sentiment similaire dans ce joli film.