Si Lynch est un maître incontesté de l'incongru aux limites de l'horreur, on a trop souvent tendance à oublier la virtuosité avec laquelle il alterne sans ménagement entre noirceur absolue, et moments de grâce solaire. De même que sa capacité à se jouer des codes des genres dans lesquels il opère. Blue Velvet était un film noir dont tous les potards (ce mot est hideux) ont été tournés au maximum, et Twin Peaks un soap corrosif. Mais ce n'est jamais un jeu de petit malin, croyant puiser dans sa manipulation des codes une profondeur que son intelligence ne permet pas. Lynch n'est pas moqueur. Il en abuse, les embrasse avec enthousiasme, les pousse dans leurs derniers retranchements pour en extraire la sève la plus pure.
Sailor et Lula a pour ligne directrice le kitsch et l'outrance. Un jeune couple rock'n'roll qui traverse une Amérique malade, comme toujours chez son réalisateur, afin d'échapper à une belle-mère psychotique. Dès la scène d'ouverture, le ton est donné: de grosses guitares, du cabotinage maîtrisé, des coiffures improbables dont les 90s ont le secret et de la cervelle sur le parquet. Puis petit à petit, le rythme effréné ralentit de façon mortifère, comme une errance que l'on s'inflige sans pouvoir y trouver d'échappatoire. Pourtant, cet univers névrosé parvient à s'ancrer dans une réalité, toute précaire soit-elle, au travers d'informations radio qui racontent des événements aussi gratuitement absurdes que ce à quoi le spectateur assiste. Dès lors, si ce n'était pas déjà le cas, on accepte la veste en peau de serpent de Nicolas Cage, la crinière de Laura Dern ou la mâchoire proéminente à moustache de Willem Dafoe. Même si certains partis pris restent douteux, notamment la violence qui se veut drôle par son décalage, mais est finalement plus souvent lourde qu'autre chose. On a tout de même le plaisir de trouver de nombreux acteurs qui réappaitront plus dans Twin Peaks, et quelques scènes d'une telle naïveté assumée qu'elles en deviennent belle. Toute la fin est gratifiante. Un film à voir.