A sa sortie, accompagnée d'une Palme d'Or que beaucoup avaient jugée déplacée, "Sailor et Lula" ("Wild At Heart", plutôt… et "Weird on Top"…) avait été jugé comme un film "déviant", témoignant de la part de Lynch d'un goût un peu trop prononcé pour la provocation gratuite, un film occasionnellement sauvé par des éclairs foudroyants de beauté et d'inventivité de sa mise en scène. On doit reconnaître aujourd'hui qu'il ne s'agit que d'une œuvre mineure au sein de la filmographie de Lynch, mais que c'est une erreur de le considérer comme une simple plaisanterie biscornue autour de l'adaptation d'un road movie presque caricatural tellement il convoque tous les clichés du genre : on comprend désormais, à l'aune des chefs d'œuvre qui suivront, à quoi jouait Lynch, distordant les codes du genre et abusant des stéréotypes (...sans toutefois jamais en nier la puissance émotionnelle, et pour ce faire, Nicolas Cage était l'acteur parfait !)... Oui, la fable absurde et régulièrement vénéneuse de "Sailor et Lula" était bel et bien l'annonce menaçante - et paradoxalement follement excitante - que les ténèbres qui bouillonnaient au cœur sauvage et incendiaire du monde allaient gagner le cinéma de David Lynch, et le transformer radicalement en l'une des œuvres artistiques les plus saisissantes de son temps. [Critique écrite en 2016]