Dès les premiers instants, l'ambiance est là. Le capital sympathie/talent du trio Poelvoorde- Kervern - Depardieu fonctionne à plein régime. Rarement le sourire quitte le visage, pendant plus d'1h30, juste concurrencé par quelques instants qui nous tireraient presque des larmes.
Que dire de ce film à la fois tendre et corrosif, profondément humain, parfois de mauvais goût, bizarre, barré, caustique - si pétri de qualités singulières qu'il est difficile d'en faire une liste complète. J'avais détesté Mammouth - dont certaines scènes m'avaient écoeurée- et, même si Saint Amour franchit parfois la ligne, il le fait avec tant d'empathie et d'intelligence que cela passe sans problème.
Soit donc l'improbable road-trip entre Jean et son fils Bruno flanqués d'un chauffeur de taxi nonchalant (le décidément si irrésistible et j'menfoutiste Vincent Lacoste). Je pourrais bien me lancer dans un dithyrambe, dire à quel point Depardieu est touchant (et dont la douceur m'a rappelée son rôle dans l'excellent Valley of love), immense dans ce mélange qu'il incarne de violence brute et de bonté... Le discours qu'il prononce à la fin du concours est une perle de pudeur et d'émotion retenue, ou quand un homme taiseux et peu démonstratif ouvre son coeur..
Que dire de Poelvoorde ? Je suis sidérée par sa capacité à changer de visage, par sa totale absence de crainte du ridicule ou de l'enlaidissement (gratiné en l'occurrence), par son versant mélancolique et torturé mais en même temps hilarant : le belge est sans doute l'un des acteurs les plus complexes et les plus intelligents de sa génération. Quand je pense qu'il avait parlé il y a peu de raccrocher les gants : non, Benoît, ne nous laisse pas sans ton talent !
Bien que souffrant de quelques trous d'air, le scénario est original et permet toutes les digressions, tout en s'appuyant sur des dialogues géniaux, à la fois simples mais terriblement efficaces :
- Vous appelez votre femme, mais je croyais qu'elle était morte ?
- Oui, mais elle est toujours joignable.
J'aimerais dire quelques mots des figures féminines (hautement symboliques) du film : Solène Rigot (croisée dans Tonnerre de Guillaume Brac avec Vincent Macaigne), serveuse qu'on penserait potiche mais qui est en fait rongée par la question de la dette française (!); Ana Girardot et sa chevelure blonde platine et enfin (la toujours merveilleuse) Céline Sallette, affublée d'une perruque rousse, vêtue d'une robe en velours vert pomme : sirène, fée des bois ? Cette Vénus est évidemment un symbole fort du film, celle qui vit dans la forêt, en contact avec les éléments, la femme sensuelle - mais non maternelle- qui va permettre de libérer le trio de ses démons.
Notons l'excellente bande son signée Sébastien Tellier, qui apporte la touche de modernité un peu triste qui confère à l'ensemble de l'oeuvre sa délicatesse et sa profondeur.
Enfin : l'image. Là où je n'avais jamais noté de poésie et de lumière particulières chez Kervern/Délépine, Saint Amour, à l'image de son beau titre, est aussi un chant d'amour à la nature et une ode à la famille, à l'amitié, à l'amour, et aux trésors de notre terroir national : les bons vins, évidemment.
Héritiers dingos de Rabelais, les réalisateurs semblent vouloir mettre à l'honneur une certaine truculence, cette drôle de gauloiserie qui hante notre imaginaire collectif.
Avec une touche d'absurde (Houellebecq jouant avec un jeu de bébé...) et une profonde compassion pour ses personnages, le duo de Groland signe un film abouti, hilarant, d'une tendresse absolue, porté par une galerie, remarquablement mise en lumière, de monstres sacrés (ou en devenir).
Assurément un très grand film, à voir absolument.