19 ans après sa sortie, Saint Ange reste un film mal aimé dans notre pays. Considéré à tort comme un pur film d'horreur, il n'est ni plus ni moins qu'un macabre conte fantastique puisant ses racines tout autant chez Christian-Jaque que chez Jean Cocteau, doublé d'une imagerie chère à Dario Argento ou encore Lucio Fulci... Ce n'est guère un secret, Pascal Laugier est un cinéphile immensément cultivé qui a usé de diverses influences pour accoucher d'un premier long-métrage aussi passionnant que stylisé qui n'a malheureusement jamais trouvé son public en France.
Élève d'une école de cinéma en Suisse, Laugier tourne quelques courts-métrages autofinancés à partir de 1993. Mais en 2001, tout s'accélère. Géniteur d'un court intitulé 4ème Sous-Sol qui ébahit Christophe Gans, ce dernier propose au cinéaste en herbe de réaliser le making of de son Pacte Des Loups. Laugier rencontre alors Richard Grandpierre, producteur du Pacte en question mais aussi d'Irréversible, qui lui propose le plus naturellement du monde de financer l'écriture de son premier long. Pour des raisons d'économie, Laugier envisage d'abord un huis-clos, mais l'action se déroulera finalement au sein d'un immense orphelinat grâce aux 5 millions d'€ que Grandpierre réussit à débloquer.
Le script terminé et validé par la prod', Laugier pense immédiatement à Virginie Ledoyen pour incarner Anna, cette mystérieuse domestique employée pour nettoyer un orphelinat avant sa fermeture définitive. Ses cheveux noirs et son teint pâle rappelant les héroïnes des films d'Argento favorisent ainsi l'emploi de la comédienne, bien qu'elle soit nettement plus habituée au minimalisme cérébral des séries A qu'à l'impétuosité physique des séries B.
En découvrant le scénario, Virginie Ledoyen tombe littéralement amoureuse de son personnage et accepte de s’immiscer dans cet univers fantastique dont elle ne connait pas vraiment les codes. Laugier lui projette alors Le Cercle Infernal, l'un de ses films préférés, mais aussi Dark Water de Nakata et lui fait découvrir l'inquiétante B.O de Suspiria composée par les Goblin. La jeune comédienne sait pertinemment que ce rôle la révèlera sous un nouveau jour et s'implique ainsi à 100 % dans cette aventure peu commune.
1958. Anna, jeune employée de maison au passé visiblement très chargé, est engagée à Saint Ange, un orphelinat désaffecté suite à l'accident mortel d'un enfant. Enceinte de quelques mois et niant sa grossesse, Anna entre rapidement en "connexion" avec la maison. Car elle en est convaincue, quelque part, dissimulés dans l'ombre, se terre d'autres enfants...
Le principal problème de Saint Ange a peut-être toujours été sa promotion. Vendu à sa sortie comme un film d'horreur (ce qu'il n'est aucunement), le film a largement déçu le public visé qui n'a pas obtenu sa dose d'effroi en le découvrant. De plus, la double, voire la triple ou même la quadruple lecture instaurée par Laugier en proposant au public une intense dimension réflexive n'arrange guère les choses.
"Saint Ange n'est ni un film d'horreur, ni un thriller, encore moins un drame psychologique. Saint Ange est un film de mystères, genre un peu oublié qui a pourtant donné au cinéma français quelques-uns de ses plus beaux fleurons poétiques des années 1940 à 1950 : Les Disparus de Saint-Agil, Sortilèges, Marianne De Ma Jeunesse, Les Diaboliques, etc." dixit Christophe Gans qui s'est pleinement investi dans la production de l’œuvre aux côtés de Grandpierre. Mais si le public français boude incontestablement ce funèbre conte fantastique depuis bientôt 20 ans, le film reste néanmoins un succès critique et public dans de nombreux pays étrangers, dont les États-Unis, et fit un immense carton au Japon où le personnage d'Anna influencera par ailleurs le célèbre jeu Rule of Rose.
À mes yeux, Saint Ange est tout simplement un chouette film fantastique, malheureusement parfois gâché par la stylisation un peu trop léchée qu'un cinéaste débutant a souvent tendance à appliquer. Une erreur que Laugier rectifiera avec Martyrs, son film suivant. Mais l'élégance reste tout de même omniprésente grâce à Virginie Ledoyen qui porte la quasi totalité du film sur ses frêles épaules et trouve perpétuellement le ton juste pour transmettre aux spectateurs toute une gamme d'intenses émotions, souvent même contradictoires. De ce fait, le rapport ineffable que son personnage entretient avec la mort est remarquablement servi par la jeune comédienne qui prouve une nouvelle fois combien elle est une immense actrice. Rien que pour elle, la réputation de Saint Ange mérite d'être amplement réhabilitée dans notre beau pays.