Sur le papier, on aurait pu avoir un Lelouch classique, divisant ceux qui accrochent et ceux qui décrochent, comme à chaque fois depuis les années 80. Ici, il a toujours été clair que « Salaud on t’aime » était une sorte de portrait autobiographique du cinéaste, ayant consacré sa vie à sa filmographie en écartant sans doute un peu son entourage au passage (il est l’un des, sinon le, cinéaste le plus productif du cinéma français), une thématique que beaucoup d’hommes peuvent comprendre également. Pour couronner le côté mise en abyme, v’l’à t’y pas que les deux vieilles canailles Halliday et Mitchell, tous deux dans leur dernier rôle, se présentent en meilleurs amis à la rock’n roll de droite. Oui, vraiment, on était en droit de penser que nous retrouverons le Lelouch niais mais enthousiaste qui nous redit depuis 1971 que la vie passe vite et que, mine de rien, les filles c’est joli.
Sauf que, malencontreusement, on n’est pas face au Lelouch niais mais enthousiaste, et pourtant il est certain que ce film lui ressemble beaucoup, ce qui est finalement étrange quand on y pense. On découvre un Lelouch plus cynique et feignant, ce qui rend sa dernière demi-heure malsaine.
Pendant la première heure du film, pourtant, le film n’est pas trop mal. Loin d’être exceptionnel ou marquant, à ranger du côté de « Tout ça pour ça », mais au moins c’est gentil. C’est même un des problèmes. Y’a des idées mignonnes tout plein, comme la romance manquée du clown féminin et du conducteur noir, joliment jouée. Eddy Mitchell s’amuse et joue comme un killer. En fait, tout est pépère peinard, sur la mare des canards, et ce même lorsque les filles débarquent. Même la séquence de « Rio Bravo », dont on m’avait dit monts et merveilles de hautes plaines, même comme étant celle qui survivait au film, je l’ai trouvée très mollassonne, interrompue par les rires des vieux et la non-synchro un peu mécanique. Ce côté vieilli, plus que nostalgique, est accentué par les passages radio récurrents de Georges Moustaki, qui dégage méchamment un message peut être inconscient d’un « C’était mieux avant, heureusement qu’on peut se tenir à l’écart de toutes ces merdes modernes ». Enfin et surtout, c’est un film très de droite. J’ai rien de spécial contre les gens de droite hein, seulement dans « Salaud on t’aime » cela donne un rendu de bourgeois repliés sur eux-mêmes assez désagréable, d’autant plus que lorsqu’on voit des personnages plus portés sur le « populaire », ils sont représentés comme des naïfs ou des colporteurs. Mais admettons. Si on ferme les yeux sur la nostalgie et la situation du Lelouch, transparaissant vraiment à l’écran, cette première heure reste un moment sympathique grâce à la grande sympathie que les personnages dégagent (Bonnaire solaire) et aux thématiques encore une fois identifiables pour beaucoup.
Et puis, dernière demi-heure. Et là, tout part en couilles, en particuliers pour la lecture autobiographique, et là nous touchons une mise en scène malsaine que je n’avais encore jamais vu pour ma part. Par contre, forcément, ça spoile salement.


Johnny national est retrouvé pendu (trois ans avant sa vraie mort). Tout le monde croit au suicide, puisqu’il s’est fait allumer par ses filles précédemment lorsqu’il leur a avoué qu’elles ont une autre demi-sœur quelques parts en Espagne. A ce moment-là de l’histoire, le public comme les persos y croient. Ce qui me gêne particulièrement fort, c’est la réaction de tous les personnages (et quand je dis tous, c’est vraiment tous ceux qu’on a vu depuis le début à l’exception de la première compagne de Halliday) : ça chiale, ça gueule, ça s’agenouille, ça se culpabilise, ça penche la tête, ça hurle aux enfants de rentrer à la maison. Et ça dure, et ça dure, et ça dure… Ce que je trouve très perturbant, c’est vraiment l’adaptation de cette situation d’un point de vue autobiographique, et cette durée dénuée de toute subtilité. Nous tous, nous avons déjà imaginé notre enterrement, ou les réactions de notre entourage en apprenant notre mort ou en nous découvrant mort. N’ayons pas peur de dire que nous avons tous déjà effleuré des images fantasmées des différentes réactions de ceux qui nous auraient poussés à un suicide imaginaire. N’ayons pas peur, parce que ça va jamais plus loin (en tout cas juste sur cette intention), et que ça disparaît comme volute Gitane sitôt l’humeur remise au vent. Or, pour moi, cette scène de découverte du corps, tout comme l’enterrement qui suit, c’est la reconstitution du propre fantasme de Lelouch, qu’il transpose sur le personnage d’Halliday. C’est gênant, parce que c’est hautement privé (son attitude lors de l’enterrement du chanteur justement nous a démontré qu’il saisit pas très bien la frontière). C’est gênant, parce que toute cette mise en scène liée à la mort, qui non seulement artificielle mais dure minimum un quart d’heure, positionne le protagoniste (donc Lelouch) comme une perte irremplaçable. C’est gênant, parce que quiconque a déjà lu et vu les propos de ce cinéaste, ainsi que l’opinion du public Français à son sujet, sait que cela ne se déroulera jamais ainsi dans la réalité du monde véritable. Mais ça s’arrête pas là : après cet enterrement O combien exagéré, Mitchell accuse les filles de l’avoir tué. Et beh oui. Bien vu, Sherlock. Même dans un contexte purement fictif, ça passe pas : pendant une heure, les mecs nous répètent, à raison, que le père absent est en tort par rapport à ces 4 demi-sœurs, et pour un petit recadrage, le père se suicide ? Il n’y a que moi qui trouve cette idée malsaine au possible ? Mais le spectateur comme les personnages découvrent ensuite ce qu’il s’est réellement passé. En gros, Johnny a choper des chasseurs qui chassaient pas où ils pouvaient, et du coup Johnny, qu’est photographe, les a pris en photo, alors Johnny leur dit qu’il va les balancer, et comme les chasseurs veulent pas, ben ils le tue et font croire qu’il s’est cramer le citron tout seul. Déjà l’idée du suicide était pas terrible, en tout cas juste après la seule altercation du long-métrage, mais là c’est juste ridicule. Le protagoniste, qui a engrossé cinq femmes en 30 ans, a fait le tour du monde avec ses photos et est propriétaire d’un chalet, meurt à cause de beaufs qui chassaient deux mètres plus loin de l’autorisation : très naze, oui. Le calvaire se termine lorsque les filles du Johnny et sa veuve rencontrent cette cinquième fille, et là encore Lelouch arrive à me faire hérisser les sourcils. Les filles lui parlent de l’argent dû à l’héritage du paternel, et cette cinquième demi-sœur leur répond : « Non, nous n’avons pas la même notion de l’argent que vous. Je ne voulais pas que vous croyez que ma rencontre soit uniquement due à cela. » Vous comprendrez que c’est cette première partie de la réplique qui me pose problème. La fille est Espagnole : d’où les Espagnols ne connaissent pas la valeur de l’argent comme les Français, on a carrément la même monnaie ?! Qu’est-ce qu’elle sous-entend par la même notion de l’argent ? Et si c’était son cas, d’où sort le nous ? Je peux pas m’empêcher d’y voir une petite forme de racisme. Et la très bonne idée finale, où les femmes se passent la cigarette en même temps que les noms des actrices apparaissent, ne pourra rien y changer : cette dernière demi-heure m’a abasourdi par sa connerie.


Pour résumer cette dernière demi-heure : reconstitution autobiographique malsaine, idée de scénario totalement dégueulasse, twist tout pété, allusion raciste en bouquet final. Manquerait plus qu’un mec débarque de nulle part pour filmer les filles du film en train de pleurer pour un proche...

Créée

le 3 juin 2020

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Billy98

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