Une fois de plus Östlund nous plonge dans une étude de la nature humaine qui questionne le pouvoir de l’argent, la soumission à l’autorité, la réalisation de soi mais également le socialisme contre le capitalisme et les rapports hommes/femmes. Östlund fait subir à ses personnages les situations les plus bizarres et humiliantes, créant un spectacle continu de satire sociale et de comédie noire sur le matérialisme et le capitalisme contemporains. Le film est divisé en trois parties. Dans la première « Carl et Yaya », Östlund présente ses protagonistes principaux : le mannequin Carl et l’influenceuse Yaya. La deuxième partie, « Le Yacht », se déroule sur un navire de croisière de luxe réservé à une élite et voit Carl et Yaya confrontés à un capitaine communiste et absent, un équipage dont les membres ont une couleur de peau de plus en plus foncé en même temps que leur fonction les éloignent des passagers, passagers qui sont tous au minimum millionaire, si ce n’est Carl et Yaya qui ont « gagné » leur croisière en échange d’en faire la publicité sur les réseaux sociaux, et présentent eux aussi un aspect divers : nous avons là, entre autres, un couple de marchands d’armes, un producteur d’engrais d’ex-Europe de l’Est et un programmeur d’applications. Ces milliardaires abusent de leur position et de leurs de facto serviteurs, ce qui en fait, parfois même à leur insu, les méchants de l’histoire. Le reste de l’équipage sont des victimes qui ont un sort plus ou moins enviable selon leur place dans la hiérarchie du navire. Lorsque la troisième et dernière partie, « L’île », commence, cette hiérarchie est détruite et les cartes sont redistribuées, renvoyant les personnages à l’État de Nature où la survie du plus adapté prévaut, et le film nous amène alors à un dénouement ambigu où c’est au public à qui il revient de choisir la fin.

La première moitié du film décrit précisément les valeurs modernes de notre société, au sens extrêmement littéral du terme « valeurs » : voici les individus et les comportements qui sont valorisés, et voici comment la société s’organise autour, tandis que la deuxième partie, elle, nous montre une autre société dans laquelle les besoins les plus immédiats des êtres humains prennent toute la place. Entre les deux la scène du naufrage dans lequel les milliardaires participent à un repas gastronomique alors qu’une terrible tempête rugit à l’extérieur est une parfaite métaphore de l’apathie face au réchauffement climatique, et comment le business-as-usual, alors même que le chaos s’installe toujours plus sur le navire, ne peut conduire qu’à la catastrophe. Et même si ce n’est pas la tempête elle-même qui fait transiter le film vers son troisième acte, la scène montre tout le talent qu’a Östlund en tant que dialoguiste. Les personnages sont bien écrits, le scénario plein de rebondissements sans être foutraque, et le style du réalisateur ainsi que son sens de la mise en scène complémente parfaitement l’histoire, ou la métaphore, qu’il veut raconter. Le duel de citations retransmis en direct par les haut-parleurs du navire entre le capitaine américain marxiste et le milliardaire d’un pays ex-communiste est à lui seul un moment d’anthologie. C’est toujours louable quand quelqu’un dit au monde ses quatre vérités, et après des années de propagande décérébrée produite à la chaîne par le système hollywoodien ce film nous rafraîchit avec son humour brillant qui caricature l’hypocrisie des élites, les bruyantes et vaines injonctions de monde moderne, le capitalisme et la drogue du pouvoir, mais surtout le monde creux et insipide des ultra-riches et la grotesque vénération de la richesse, de la jeunesse, de la beauté et du bling-bling qui infectent notre époque.

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le 24 janv. 2023

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