Il y a un an presque jour pour jour, Charlotte Wells nous prenait de court avec Aftersun, film de souvenirs faussement solaire, hanté, plombé par son désespoir et le vide qu'un deuil parental anticipé laisse. Cette année, 2024 s'ouvre avec les éclats et les transparences d'emblée hypnotisantes de Sans jamais nous connaître (qu'on préférera, comme toujours, sous son titre anglais, bien plus élégant, All of Us Strangers), abordant le même sujet. Outre la présence (magnétique s'il en est) de Paul Mescal aux deux génériques, la comparaison s'arrête ici.
Film de gros plans et de peaux, de couleurs et de flous, film tout en délicatesse inquiète, nimbé dans des lumières surréelles et des notes de musique en lévitation, film au rythme suspendu et pourtant lesté d'une noirceur affrontée par la fuite et une forme d'archéologie psychologique fictive, All of us Strangers est un film anormalement frontal dans ce qu'il aborde, dans les mots dont il use pour nommer le mal, dans la confiance qu'il montre en un amour capable de résorber le trou creusé par le manque dans le cœur de ses personnages.
Contrairement à Charlotte Wells, Andrew Haigh prône la reconstruction par l'assomption, non le mal-être d'avoir à vivre amputé de quelque chose. Bien moins sournois (donc peut-être moins bouleversant si l'on aime les plaisirs masochistes), All of us Strangers enfile des gants de cotons pour cogner le mal et d'un même mouvement tendre l'autre joue.
En assumant leurs fêlures, leurs peurs, leurs nécessaires (et amusantes) régressions puériles, en exhumant le chagrin qui les ronge, en scénarisant l'impossible, les beaux Adam et Harry démontrent, en dévoilant paradoxalement leur détresse, leur courage. Fuyant temporairement le réel ils s'y inscrivent finalement de plein pied, pour l'habiter, l'embrasser pleinement et pouvoir enfin l'écrire.
Andrew Haigh délivre ici une belle leçon de résilience, bien aidé par la puissance de ses comédiens (on ne fera jamais assez les louanges d'Andrew Scott, déchirant), et, s'il excède parfois en fausse pudeur (on aurait peut-être aimé plus de rage) et en symbolisme (notamment dans son final inutilement brouillé), signe également (et peut-être surtout) un film d'une vibrante contemporanéité, excessivement juste lorsqu'il aborde l'homosexualité, ses différents items constituants, et les différentes manières de les aborder (le coming out, le vocabulaire, la sexualité, la solitude, l'acceptation).