Sans jamais nous connaître est un récit mélancolique sur la solitude, la compréhension mutuelle, la quête du bonheur, les occasions manquées et le travail de deuil. Adam est un écrivain en panne d’inspiration qui vit isolé dans un tour moderne. Sa rencontre avec son voisin Harry sera un catalyseur émotionnel, et par un truchement qui ne sera heureusement jamais expliqué, coïncide avec ses retrouvailles avec ses parents. Ceux-ci sont décédés accidentellement alors qu’il n’avait que 12 ans, et de nombreux non-dits et regrets grèvent Adam, comme le besoin d’affection et d’acceptation.
Le procédé permet à la fois au film d’être très introspectif, à la limite de la thérapie, alors qu’Adam peut discuter d’adulte à adulte avec ses parents, tout en se permettant des notes d’humour qui relâchent la tension, grâce au décalage crée par des parents restés dans les années 80. La beauté lancinante du film réside dans ce paradoxe temporel et émotionnel : que diriez-vous aux personnes que vous avez perdues ? Et eux, qu’auraient-ils envie de savoir sur cette vie que vous avez poursuivie sans eux ?
Le quatuor d’acteurs est magnifiquement dirigé, avec un grand travail sur le non-dit, la retenue, ce qu’on perçoit ou ce que justement on rate. Andrew Scott, qui fait partie de quasiment tous les plans, arrive cependant à ne pas écraser ses partenaires. En restant au plus proche de ces personnages, le réalisateur conserve une portée très intime, qui peut prendre plus ou moins de temps pour qu’on s’y attache. Personnellement, c’est vraiment lors de la scène tardive du restaurant que j’ai ressenti une connexion, une empathie forte avec ce qui se déroule à l’écran.
Andrew Haigh développe ainsi un propos poétique, plus mélancolique que triste, parfois nostalgique. Le film se déroule sur la ligne de crête entre des émotions positives et négatives, et multiplie les métaphores de passages d’un monde à l’autre, notamment par le recours au train de banlieue et aux paysages lointains toujours à l’aube ou au crépuscule. Au-delà d’un parti-pris esthétique un peu facile, ils soulignent cet entre-deux mondes dans lequel vit Adam, entre rêve et réalité, passé et présent. C’est d’ailleurs parce que j’y interprète ce sens que j’adhère à cet esthétisme très travaillé, presque caricatural, qui devient synonyme des productions A24. Sans jamais nous connaître est un film en marge du réel alimentés par ses codes musicaux et visuels.
Pour être honnête, je n’ai pas percuté immédiatement la fin — malgré un changement d’esthétisme visuel brusque, et je sortais de la salle un peu confuse quant à l’intention du réalisateur jusqu’à ce qu’on pointe mon erreur. Mais cette fin s’avère très intéressante vis-à-vis justement du déséquilibre jusqu’ici apparent de la relation entre Adam et Harry, et de la préférence d’Adam de se projeter mentalement sur ce que pourrait être les choses, d’après les souvenirs et les images qu’il se fait d’autrui – sans pour autant les connaître véritablement.
La fin est d’ailleurs presque comique esthétiquement avec son passage étoilé, mais permet au film de refuser une direction définitive, une perspective nette ; elle laisse tout ouvert.