Dès son exposition, A Quiet Place dévoile au public les thématiques et les qualités de son projet de réalisation.


Tout d'abord par une ambiance post apocalyptique qui laisse la part belle à l'isolement.
Du jour au lendemain, la grande bleue, cette ruche chaotique, s'est tue. L'émergence inexpliquée d'un prédateur extra-sensitif venu truster la première place de la chaîne alimentaire a de quoi troubler l’espèce la plus bruyante de la création, réduite à une poignée de survivants, réfugiés dans l'isolement et le mutisme. Notre famille tout à fait singulière nous est présentée d'entrée de jeu comme débrouillarde et méthodique, bénéficiant directement de l'handicap d'un de ses membres.
La présence d'une petite fille sourde-muette (Millicent Simmonds, interprète véritablement handicapée) au sein de cette cellule familiale soudée est devenu leur vecteur de survie dans un monde des plus hostiles.


Si je n'oublie pas le remarquable travail du film sur sa photographie, je souhaite surtout mettre en valeur les qualités de sa réalisation et cette capacité à jouer sans cesse avec son parti pris original.
Dans un film où la bande son est forcément épurée à l'extrême, la réalisation et la direction des acteurs revêt une importance capitale. Sur ces deux points John Krasinski (qui se met lui-même en scène) fait preuve d'un talent certain, véhiculant dans chacune de ses scènes le contenu et les émotions qu'il souhaite délivrer par le biais d'une mise en scène d'une incroyable limpidité. Sans autre artifice ni sous-titre, il parvient à transmettre aux spectateurs hermétiques au langage des signes les grandes lignes nécessaires à la compréhension des dialogues et réussit à caractériser les personnages et leurs relations le temps d'une danse tendre et fugace, une étreinte déchirante ou une violente dispute sans décibels. Ajoutons à cela des placements et mouvement de caméras toujours judicieux pour nous faire plonger dans les pensées des protagonistes, qu'il s'agisse de renforcer la tension d'une scène ou de simplement mettre en évidence le funeste destin qui les attends tôt ou tard, par le simple constat qu'au terme d'une journée comme les autres leur voisinage s'est amoindri.


Mais épure ne veut en aucun cas dire que le sound design du long métrage n'a pas bénéficié d'autant de soin, puisqu'il vient au contraire appuyer une tension déjà proche de l'insoutenable. Au-delà des nombreuses scènes quotidiennes et intimistes, le film brille également par sa capacité à soumettre son spectateur à une véritable chape de plomb, au risque de maltraiter bien des accoudoirs.
Si l'on n'échappera malheureusement pas aux inévitables jumpscares, qui ont toutefois le mérite de se compter sur les doigts d'une main mutilée, le film délivre son lots de grands moments de bravoure délicieusement éprouvants.


Côté écriture, le film aborde principalement la gestion du deuil et de la culpabilité au sein d'une famille presque banale. L'impuissance parentale à protéger sa progéniture d'un monde résolu à ne pas les accepter, la faute partagée de la perte mais aussi le sentiment de culpabilité d'avoir engendré une petite fille aussi forte que vulnérable. Cette surdité obsédante que le personnage du père s'efforce sans relâche de réparer en engouffrant tous ses espoirs dans la confection d'une prothèse auditive fonctionnelle, se révélera être l'objectification salvatrice de l'amour qu'il porte à ses enfants.


Compte tenu de tout ce que je viens de vous dire, je passerai volontairement sur les menues incohérences et le design des monstres qui ressemblent à des plafonniers Ikéa : cela ne saurait gâcher les grandes forces du récit. Je préfère donc conclure sur l'excellence du jeu de l'ensemble du casting, d'une authenticité confondante. Certes la proximité à la ville comme à l'écran du couple Blunt / Krasinski est un point fort évident qui crève l'écran, mais il est difficile de ne pas s'enthousiasmer des apports que l'on doit à Milllicent Simmonds quant à la cohérence familiale bâtie autour de son personnage.


Malin, A Quiet Place parvient à tirer de son modeste budget un film d'horreur d'une excellente facture, idéal pour stresser dans une salle climatisée en ces temps caniculaires.

YvesSignal
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le 5 juil. 2018

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Yves_Signal

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