Santosh est une longue fresque, sorte de docu-fiction, dépeignant les problématiques de la société indienne avec un profond pessimisme. Dans ce pays inégalitaire dominé par les castes privilégiées racistes et machistes, toute once de justice ou de vérité semble avoir été éradiquée au profit du mensonge et du crime. En cela, la "philosophie" du film se rapproche de celle de l'autrice Simon Weil, qui voyait dans le manque de justice, le signe annonciateur d'une société ô combien malade et dangereuse.
La première cible en ligne de mire de la réalisatrice Sandhya Suri, est évidemment le corps policier, qui sert les intérêts du système. Si les différents fauteurs de troubles et petits délinquants sont châtiers par celui-ci, cette pseudo-justice n'est qu'une l'illusion. Il ne s'agit pas là de combattre l'injustice sociale (la violence du sexisme ou du mépris de classe), mais plutôt de glorifier l'image de la caste dominante. Nonchalante au possible et corrompue jusqu'à la moelle, la police combat en réalité l'irrationnel (le viol, le vol, le sabotage, le meurtre) par l'irrationnel et dans le sens de son amour-propre, n'hésitant pas à torturer à mort des suspects non avérés pour en faire des martyrs au nom du "bien". Tout manichéisme ou récit binaire viendra d'ailleurs s'estomper, lorsque la commandante, jouée par l'excellente Sunita Rajwar, tabassera à mort le jeune Saleem, qu'elle sait innocent, "au nom de toutes les femmes violées et tuées".
C'est à travers le regard impassible, mais ô combien vecteur de significations, de Santosh que le spectateur contemple avec effroi cette fresque de cette société inégalitaire. Durant l'essentiel du long-métrage, ce personnage presque mutique, parviendra à transmettre au spectateur une palette d'émotions diverses par l'unique biais de son visage. En ce sens-là, le travail opéré par l'actrice Shahana Goswami est absolument brillant. C'est là, ni plus ni moins, ce que théorisait le chercheur allemand Béla Balázs à travers son concept de "Physionomie", à savoir “l’apparence, le visage des choses, des êtres, des lieux et la fenêtre de leur âme”.
Malgré tous ses efforts pour essayer de comprendre cette société et de résoudre le crime, Santosh apparaît finalement comme une spectatrice impuissante face à un système corrompu et qui la domine. Elle est la métaphore du spectateur lui-même, silencieux dans la salle de cinéma, et qui, sans parvenir à la résoudre, découvre avec stupeur la grande tragédie de la société indienne à l'écran.