L'image et le néant - À propos de Sayat Nova, la couleur de la grenade, de Serguei Paradjanov
Sayat Nova est un film majeur, c’est à dire exceptionnellement brillant, car, quand le cinéma et l’art s’emparent de sujets précis, concrets, d’épiphénomènes sensés, au gré du talent de l’artiste résonner en nous, en somme de valeurs relatives, Sayat Nova nous parle en valeur absolue. Parajdanov fait le choix du symbolisme, qui est une valeur absolue puisqu’elle est ce vers quoi tend tout ce qui existe, c’est à dire nos souvenirs : à force d’oublis, de corrections, d’ajouts fictionnels, de thèmes prépondérants par leur actualité, il n’y a qu’a voir pour s’en convaincre la somptueuse place laissée au christianisme dans ce film arménien, culture toute teintée d’une pratique rituelle bouffie d’icônes, cette histoire n’est plus qu’un mythe, et n’est composée que de symboles, concepts irréductibles pouvant signifier en une image des myriades d’idées. Or, Sayat Nova nous narre l’histoire d’un poète du XVIIIeme siècle et là ou tant de biographes, en qualité d’historiens, auraient cherché la justesse d’analyse, les détails des faits, Parajdanov fait preuve d’une honnêteté intellectuelle formidable en nous montrant ce qui reste et restera véritablement de la vie de tous : des images, des symboles. Parajdanov réussit donc à être transcendantal car, bien qu’il réussisse à raconter l’histoire particulière de ce poète, c’est proprement l’histoire universelle qu’il aborde ; seulement, lui n’est pas un historien (mal?)mené par l’exactitude et la rigueur concrète mais un artiste, sondant la réalité telle qu’elle est, c’est à dire polie ou impactée par la vision de l’homme, du lecteur, de l’historien… ou du spectateur, car le film symboliste comprend dans son essence que sa réalité propre évoluera selon le regard porté dessus. Dans ce cas, mon, si ce n’est le, message de Sayat Nova est clair : avant les cendres puis le néant, il restera de nous des images.