Wes Craven a 25 ans de bouteille au moment où il réalise Scream à contrecœur, lassé du genre horrifique et désireux de réaliser des mélodrames (La Musique de mon coeur, sa comédie dramatique tant attendue, sera un échec complet). Il le disait déjà dans Freddy sort de la nuit (qui peut être vu comme les prémisses de la mise en abîme effectuée par Scream), il s’apitoie sur son sort en se disant condamné à réaliser à des oeuvres dans un genre qui ne lui correspond plus : ce qu'il veut faire, ce sont des films d'amour.


Seulement, n'est pas forcément doué pour représenter l'amour celui qui met si bien en scène les séquences de meurtre : Scream en atteste, là où Craven est le meilleur, c'est dans le montage des course-poursuites en intérieur, dans la rythmique des coups de couteau contre les portes et des hurlements de ses victimes apeurées. En matière d'iconisation des tueurs en série, il reste la référence incontournable.


Sous un scénario de Kevin Williamson (Scream lança sa carrière en trombe de 97 à 98), Wes Craven s'attelle donc à retourner les codes d'un genre qu'il a grandement participé à instaurer. Cela dès son introduction incroyable d'une durée de 15 minutes, où il se fera un malin plaisir de martyriser une Drew Barrymore à la carrière déjà bien entamée. Festival pour les yeux, cette première scène manie avec perfection les gimmicks auxquels le film s'attaque, manipulant les effets horrifiques clichés comme les ficelles d'une marionnette en bobine.


Il nous le prouve avec une aisance déconcertante : les vingts années qui le séparent de ses premiers pas de réalisateur (débutée avec La Dernière Maison sur la Gauche et entérinée par le succès international de Les Griffes de la nuit), loin d'avoir émoussé son talent, l'ont laissé maturé jusqu'à atteindre les sommets d'efficacité de Scream, qui propose avec une certaine virtuosité un savant alliage de références visuelles bien insérées et de citations des propres gimmicks de Craven, qui fait entrer son cinéma dans le cinéma qu'il décortique : il s'agira donc de porter un regard neutre et analytique sur plus de trente ans de films slasher.


Car Scream s'étale vers un un terrain sur lequel on ne l'attendait pas : celui de la réflexion pertinente sur un genre en pleine déchéance, affichant autant de nouveaux films en salles que si peu de spectateurs pour s'y déplacer les voir. Paradoxalement, le film qui décortiqua le slasher en affichant ses clichés poussifs et sa stupidité généralisée, à défaut de tomber dans les mêmes travers qu'il dénonce (ce que sa suite ne se gênera pas de faire goulument), lui redonne naissance une nouvelle et dernière fois, perpétuant le genre pour quelques années encore de séries z ridicules ou insupportables, avant de se faire complètement supplanter par le film d'esprit et de possession, puis par les jeux sadiques de James Wan et Leigh Whannell.


Tâche difficile cependant de décortiquer l'essence d'un genre qu'on a soi-même érigé comme modèle cinématographique : comment parler avec pertinence et neutralité de tout un pan du cinéma de genre lorsqu'il nous offrit carrière et renommée? En reprenant ses codes par sa mise en scène (tous les effets visuels accumulés en trente ans d'existence sous au rendez-vous) : la seule façon de se sortir la tête de l'eau est de proposer la réalisation comme vecteur de réflexion.


Là où son écriture se chargera de poser le cadre et les références, Craven excelle dans l'exercice de la mise en abîme novatrice : la scène où Randy regarde et narre, complètement ivre, le déroulé de la scène finale de La Nuit des masques de Carpenter sans se douter qu'il risque de vivre exactement la même chose, témoigne d'une part du voyeurisme sarcastique du réalisateur, qui se moque gentiment d'un genre qui lui a échappé en s'enfermant dans le comportement de plus en plus stupide de ses personnages de plus en plus stéréotypés, et d'autre part de son inventivité proprement hallucinante en terme de mise en scène.


Si l'idée du décalage de trente secondes de la caméra posée dans le salon donne lieu à un film dans le film très malin, permettant principalement de proposer une nouvelle façon rafraîchissante de ressentir le suspens et d'appréhender qui mourra le premier, le génie de Scream est à chercher du côté de sa narration alternée entre réalité et fiction : les personnages, jugeant constamment le comportement débile des victimes fuyantes de slashers, en reproduisant le même comportement stupide renvoient à la vision désabusée d'un réalisateur qui ne connaît que trop bien les limites du genre auquel il s'attaque.


Un genre qu'il redynamise par la même occasion en axant l'action dans la réalité en miroir de celle de la fiction : la scène citée précédemment, aussi intéressante pour sa tension solide que pour sa mise en abîme vertigineuse, élève en crescendo la portée méta de l'oeuvre de Craven, qui commençait déjà, en parallèle des Tarantino et autres Rodriguez, à déconstruire un genre par la citation récurrente de ses chefs-d’œuvre et de ses poncifs.


Le réalisateur, acerbe et critique, ne s'empêche pas, cependant, de se citer comme référence : cela au travers d'une écriture obsédée par le cool de la référence, soucieuse de citer un maximum de grands films pour se la jouer intelligent (précurseur de la duologie Deadpool?). Naturellement, cela nuit à la finesse de la mise en abîme de la réalisation : rabâcher inlassablement des titres de films connus, presque à chaque dialogue pour lier le réel à la fiction présage d'une bonne idée mal exécutée.


Le parti pris déterminant de se considérer comme référence ultime (l'union de Wes Craven et John Carpenter, maître du cinéma fantastique et réalisateur de La Nuit des masques, qui lança le genre pour les vingt années que Craven analyse, en Wes Carpenter laisse penser à quel point ce dernier se considère comme un artiste incontournable) rend Scream méprisant des autres au profit de son réalisateur.


Diviser pour mieux régner n'est pas spécifiquement des plus honnêtes pour livrer la critique d'un genre. Seulement, comment lui en vouloir lorsqu'il a, au fond, profondément raison de se considérer comme le meilleur d'une basse-cour comptant très peu de réalisateurs de renommée? En atteste Scream, avec lequel Wes Craven révolutionne une dernière fois le genre en le rendant méta et intelligent; révolution qui dura le temps d'une année, avant que d'autres slashers en mode sous-Scream ne viennent l'enterrer pour de bon, et perpétuer, sans rien avoir compris, un héritage de références et d'humour noir bien placé qui ne fonctionna véritablement que pour le premier volet d'une franchise en perdition.

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le 12 avr. 2020

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FloBerne

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