Été, automne, hiver, et enfin printemps... Séjour dans les monts Fuchun se déploie sur une année, au gré des vallées paisibles et des eaux du fleuve du même nom. Mais derrière la quiétude de ces paysages peints au 14ème siècle par Huang Gongwang, se jouent des enjeux majeurs, ceux d'une Chine en transition vers un avenir incertain.
La famille, sujet central du film, opère un virage déterminant. Bien qu'elle demeure primordiale et qu'elle constitue toujours la principale unité de sociabilisation, le modèle traditionnel semble céder sous les désirs d’épanouissements d'une nouvelle génération entre deux eaux. La femme, occupant une place déjà forte au sein de la famille, continue de s'affirmer. Les enfants, inféodés à leurs parents, débutent leur long chemin vers l’émancipation. Les mariages arrangés laissent progressivement leur place aux mariages d'amour, libérés, par ailleurs, de la pression de la politique de l’enfant unique, abandonnée depuis 2015.
L’urbanisme se métamorphose. Les vieux immeubles sont remplacés par des infrastructures ultra modernes à mesure que les eaux du fleuve noircissent de pollution et que les poissons se font de plus en plus petits. On est encore loin de la prise de conscience écologique, mais l'inquiétude naît bel et bien (« avant on pêchait à la dynamite, c'était le bon temps, maintenant il n'y a plus de poissons »).
Même le rapport des jeunes au travail semble évoluer : « Je me suis libérée de ma famille, mais j'ai toujours mon entreprise qui me tient en laisse » dit cette cousine enceinte. Ce sera la seule insertion critique directe à l’encontre du système chinois. On n’en attend pas beaucoup plus d’un film que l’on sait soumis à la censure et dont le jeune réalisateur souhaite la projection en Chine…
On a du mal à s'attacher aux membres de cette famille de quatre fils, que l'on suit tout au long du film, et qui s'organisent pour prendre en charge leur mère dans les derniers mois de sa vie. Peut-être est-ce dû à cette austérité, cette retenue dans les sentiments éprouvés, pourtant mêlées de courage et de détermination. Peut-être est-ce aussi parce que les problématiques pécuniaires semblent imprégner l'ensemble de leurs rapports.
Cependant, deux personnages se détachent : la fille du fils cadet, qui met en péril son lien avec sa mère pour un mariage d'amour et le 3ème fils, père célibataire, qui choisit la voie de l'illégalité pour financer l'hospitalisation de son fils handicapé (sujets, à ma connaissance, peu ou pas traités par le cinéma chinois). Ces deux personnages, en totale opposition avec le modèle chinois traditionnel, apportent une grande dose d'humanité à une société qui paraît en manquer cruellement.
Séjour dans les monts Fuchun a certes des longueurs (quiconque vous dira qu’il ne s’est pas ennuyé une minute des 154 que durent le film vous mentira à coup-sûr) mais il est d’une beauté froide étonnante et nous en dit beaucoup sur ce pays aux multiples paradoxes.