Quelle femme ne se souvient pas du supplice des vestiaires de la piscine en pleine puberté ? Nos pauvres corps, que nous avions déjà bien du mal à nous approprier tant ils changeaient à toute vitesse, mis à nu dans le froid et l'odeur de javel. On se cachait, on se regardait, on se comparait les unes les autres ; nos seins étaient désespéramment petits... nos cuisses désespéramment grosses...
Si Céline Sciamma a choisi cet univers, la piscine, pour y situer son premier long-métrage, Naissance des pieuvres, c'est bien parce que peu d'endroits nous ont laissé tant d'empruntes corporelles et émotionnelles étant adolescentes. A travers la courte tranche de vie de trois lycéennes férues de natation synchronisée (Marie la mutique à la bouche en cœur, Anne la complexée et Floriane la fausse fille facile), nous revivons ces premières expériences : celles de l'apprentissage du désir, des premiers émois amoureux, de la familiarisation avec son corps de femme.
La quasi nudité inhérente aux activités aquatiques, combinée à ses expériences adolescentes, constituent, par ailleurs, un formidable support pour dénoncer une partie des diktats imposés aux femmes par la société.
« Qu'est ce que c'est que ça Marine ? » dit la coach constatant quelques poils sur les jambes d'une des jeunes nageuses,
« J'ai pas eu le temps »,
« Tu lui diras ça à ton mari, j'ai pas eu le temps ? ».
Pour les trois personnages principaux, comme pour toutes les autres, le corps est présenté comme sexualisé et assujeti à l'homme.
« Je ne sais pas comment tu fais pour manger ta banane en entier devant tout le monde, moi je l'écrase ». Et déjà, à l'adolescence la femme a perdu sa confiance en elle.
Malgré ce constat, Céline Sciamma retient surtout la nécessaire union des femmes, la sororité. Marie et Floriane expérimentent leurs peurs et leurs envies ensemble, loin des hommes.
« Je voudrais que tu m'opères Marie, que tu m'en débarrasses, au moins ce sera vrai » à propos de son hymen.
« Faut pas qu'on se sépare Marie, je fais des conneries quand t'es pas là » lui dit Anne au coin de l'oreille après avoir couché avec un garçon qui se fout d'elle.
Dans ce film, comme dans les quatre réalisés par la suite par Céline Sciamma (et notamment le sublime La jeune fille en feu), les hommes sont tenus complètement à l'écart de la narration et ne sont là que pour incarner la pression physique et psychique exercée sur les femmes. Ce choix est courageux et sans équivoque.
Naissance des pieuvres contribue indéniablement à faire de Céline Sciamma l'une des réalisatrices françaises les plus féministes, mais aussi les plus talentueuses, de notre génération.
« Désormais on se lève et on se barre »