Des femmes extraordinairement ordinaires

Happy Hour est sorti au Japon en décembre 2015. Et le film de Rysuke Hamaguchi a fait un tour du monde des festivals dans les mois suivants. Comment donc le proposer aux spectateurs français s'est demandé son distributeur ? Non content de changer son titre initial pour celui de Senses (pourquoi pas ?), l'idée a été de le diffuser en 3 vagues successives en inventant un concept de "ciné-série" spécifiquement hexagonal. Qu'importe. Et s'il vaut mieux le voir en une voire deux fois, le fait est que l'on est en présence d'un long-métrage de plus de 5 heures qui mérite d'être apprécié à sa juste valeur, qui est grande. De là à en faire un immense chef d'oeuvre, il y a tout de même de la marge. Aux influences déjà repérées par certains (Cassavetes, Hong Sangsoo, Rohmer), on pourrait aussi ajouter Antonioni et Naruse. Et, sans doute, d'autres également sans que cela ne retire quoique ce soit à l'originalité narrative de Senses. Le film prend son temps pour nous présenter un quatuor de femmes japonaises, ni jeunes, ni âgées, ni belles, ni laides, extraordinairement ordinaires, dans un certain sens, ce qui les rend d'autant plus touchantes et universelles dans leurs questionnements et leur identité propre. Ensemble ou séparément, Senses réussit parfaitement à mélanger leurs vies professionnelle et privée, dotant chacune de ses héroïnes d'un caractère bien particulier. C'est un film sur la place des femmes dans la société japonaise d'aujourd'hui, y compris les divorcées, encore réprouvées. Ce qui est étonnant est la façon dont Hamaguchi s'éloigne parfois de ce qui semble sa trame principale en consacrant de très longues minutes à un atelier "d'interconnexions corporelles et sensorielles" (dans la première partie du film) et à une rencontre littéraire avec lecture intégrale d'une nouvelle (dans la dernière partie). Des moments un peu languissants qui paraissent digressifs mais qui ne sont pas moins reliés au reste du film, dans un approfondissement extrême des sentiments et des relations humaines. Senses est à la fois terriblement ambitieux et excessivement humble dans son traitement. Le genre de film qui n'enthousiasme pas nécessairement sur toute sa durée mais qui trace sa route avec sérénité et laisse une véritable trace dans les souvenirs des spectateurs.

Cinephile-doux
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Au fil(m) de 2018

Créée

le 7 mai 2018

Critique lue 357 fois

3 j'aime

2 commentaires

Cinephile-doux

Écrit par

Critique lue 357 fois

3
2

D'autres avis sur Senses 1&2

Senses 1&2
eloch
8

Les 4 vérités

Senses n’est pas à probablement parlé une série, pourtant c’est ainsi qu’elle a été présentée. On y suit le quotidien et les choix de quatre amies vivant à Kobe, au Japon. Une ode au besoin imminent...

le 6 mai 2018

9 j'aime

2

Senses 1&2
ocean_jogging
10

L'intimité des sentiments

Au Japon, 100.000 personnes disparaissent chaque année sans laisser de traces. On les appelle les « évaporés ». C’est ce que va devenir Jun après avoir prononcé son divorce,...

le 18 avr. 2018

9 j'aime

Senses 1&2
Dagrey_Le-feu-follet
7

Portraits de femmes

A Kobe, au Japon, quatre femmes partagent une amitié sans faille. Un jour, l'une d'entre elles, June, disparait. Cette disparition entraine chez les 3 autres une profonde remise en cause et des...

le 18 mai 2018

7 j'aime

5

Du même critique

As Bestas
Cinephile-doux
9

La Galice jusqu'à l'hallali

Et sinon, il en pense quoi, l'office de tourisme galicien de As Bestas, dont l'action se déroule dans un petit village dépeuplé où ont choisi de s'installer un couple de Français qui se sont...

le 28 mai 2022

79 j'aime

4

France
Cinephile-doux
8

Triste et célèbre

Il est quand même drôle qu'un grand nombre des spectateurs de France ne retient du film que sa satire au vitriol (hum) des journalistes télé élevés au rang de stars et des errements des chaînes...

le 25 août 2021

79 j'aime

5

The Power of the Dog
Cinephile-doux
8

Du genre masculin

Enfin un nouveau film de Jane Campion, 12 ans après Bright Star ! La puissance et la subtilité de la réalisatrice néo-zélandaise ne se sont manifestement pas affadies avec Le pouvoir du chien, un...

le 25 sept. 2021

72 j'aime

13