Bafouille sur Budd Boetticher
Boetticher est un cinéaste minéral, c’est ce le sentiment qui ressort, au moins, à la vision de la série de films qu’il a tourné avec Randolph Scott. Une minéralité qui n’est pas sans rappeler ce que fera Monte Hellman plus tard. L’aridité de la mise en scène, la concision des récits, la simplicité de l’écriture, tout ça donne des films rongés jusqu’à l’os. Pas, ou presque pas, de plans superflus, pas de dialogues en trop. Boetticher est minimal, il filme juste ce qu’il faut, enlève le gras mais également un peu de chair qu’il laisse en hors champs.
Cette minéralité se retrouve au sein du plan, au niveau des décors : les extérieurs sont lunaires, désertiques, quelques rochers pour dessiner les contours du cadre. Les villes sont banales, assez pauvres, voir très pauvres dans Decision at Sundown frappant par son aspect terne.
Mais aussi au niveau du jeu de Scott, souvent monolithique, au visage grave. Cette particularité n’est pas totalement vraie, et le jeu de Scott est plus subtil que ça. Ce qu’il fait par exemple dans Buchanan et The Tall T est assez génial, car il brise l’image de son personnage en passant toute la première partie du film avec un sourire constant aux lèvres. Ca donne quelque chose de très étrange, un peu ridicule, un peu émouvant et un pu inquiétant. Quelque chose qui va à l’encontre de sa froideur et de sa droiture. On compare souvent Scott à Wayne, mais le registre de jeu me semble assez éloigné. Je vois mal Wayne dans ces westerns là. Toujours est-il le physique de Scott est parfait dans l’univers de Boetticher.
Le cinéaste construit ses film sur un socle de série B et donne la sensation de faire du western de série, sans relief, simple. Alors que toute la force de son cinéma est de s’appuyer sur ce socle pour bâtir quelque chose de bien plus solide, de très travaillé, de très réfléchi, sans pour autant cadenasser ses plans et verrouiller les scénarios.
Pour parler spécialement des films avec Scott. Tous possèdent une base presque identique : à savoir un homme qui désire se venger suite à la mort de sa femme. Presque tous les films de la série sont des variations autour de ce thème. Sept hommes à abattre est peut être le pilier de la série, le plus synthétique et épuré. Lors d’une attaque postale, une femme se fait tuer. Son mari, Scott, part à la recherche des 7 membres du groupe de braqueurs.
La richesse et l’intelligence du cinéma de Boetticher va d’abord s’imposer en terme scénaristique. De cette intrigue ultra basique archétype du film de vengeance, il propose une réflexion bien plus profonde, subtile, contrastée autour de ce geste. Tout n’est pas tout noir ou tout blanc, le monde du cinéaste est gris, et chaque personnage avance avec ses qualités, ses tords et ses faiblesses.
D’autre part, sans toutefois tromper la minéralité de l’ensemble, il se dessine, en hors champs, et de façon un peu souterraine, une étude psychologique et une caractérisation très poussées de chaque personnage. C’est très fort car il fait ça sur une très courte durée, les films ne durent pas plus d’1h20, tout en prenant son temps, en laissant une grande place aux détails, en trouant le récit avec des grandes respirations. A ce niveau-là ça me rappelle le style de Fleischer, surtout sa période RKO où il réussissait à obtenir une même fraicheur, une même vivacité et une même efficacité.
Pour revenir sur ces codes de série B, la façon dont le cinéaste en joue participe à une idée plus générale de son cinéma, qui consiste à briser le cadre et à sortir d’un petit périmètre étouffant.
Je crois que c’est surtout sur ce point que je trouve son travail passionnant et d’une grande cohérence. Sortir de la boite d’où l’on s’est mis soi-même ou d’où les autres nous ont mis.
Le style du metteur en scène est catalogué dans un genre alors qu’il en sort constamment.
Le personnage de Scott avance avec une pensée vampirique de vengeance qui le rend aveugle aux abords dans un premier temps. Il ne pense qu’à une chose, se venger. Son esprit est cloisonné, fermé. Alors qu’au fur et à mesure de son parcours et des différentes rencontres, les cloisons vont tomber, et sa vision des choses et du monde va évoluer.
Cet enfermement va également se jouer au niveau de l’espace, des décors et de la composition des plans. Dans Buchanan, Scott est mis en prison. Dans Decision at Sundown, sous la menace des autorités de la ville, il contraint de rester enfermer dans une écurie pendant une grande partie du film. Mais ce sentiment de huis clos n’est pas seulement engendré par les scènes « urbaines » ou les scènes d’intérieur, il apparait également dans les extérieurs.
Ainsi sept hommes à abattre s’ouvre avec une scène nocturne et pluvieuse, où Scott se refugie dans une grotte et rencontrera 2 membres du gang qu’il recherche.
Mais c’est surtout grâce avec la superbe utilisation de son décor lunaire de rochers ronds que ce sentiment d’enfermement va prendre forme. Dans l’immensité désertique que le cinéaste ne filme pratiquement jamais, son style refusant les échappées, les envolées, l’épique ou le lyrisme, ces rochers posés, où les personnages se réfugient ou se cachent, vont former un décor dans le décor.
Mais les personnages s’y refugient autant pour se protéger que car ils s’y trouvent acculer. Le désert autour représente aussi bien une menace permanente, un inconnu inquiétant, qu’un horizon dégagé vers l’avenir.
Bref il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce superbe cinéaste, et j’essaierais de revenir sur chaque film indépendamment qui ont beau avoir une base commune, s’avèrent bien différents sur de nombreux points.