On voit les films de Jonás Trueba comme on prendrait des nouvelles d’amis lointains : à chaque rencontre, un nouveau chapitre s’écrit au sein d’un univers familiers, occupé par les mêmes comédiens associés à l’écriture (sa compagne Itsaso Arana et Vito Sanz), dont les questionnements et les aventures entre en résonnance avec les nôtres.


Septembre sans attendre est l’histoire d’une rupture, annoncée dès le départ, et qui devrait, selon le couple, donner lieu à une fête de séparation plutôt qu’à une dépression généralisée. Une idée saugrenue, héritée des blagues du père de l’un d’entre eux – joué par le père du réalisateur lui-même, qui l’avait effectivement formulée dans le passé.


Comme toujours chez Trueba, il est surtout question d’esquiver les grands ressorts dramatiques, et d’aller investir les territoires moins contrastés : ces instants de flottement dans la réaction des proches, le travail sur la répétition de l’annonce, et, surtout, l’étrange équilibre qui se construit au sein d’un couple qui, sans se déchirer et par une décision commune, prend conscience qu’il vit ses heures dernières.

En insufflant quelques éléments de comédie dans sa chronique désenchantée, Trueba évite bien des pièges, et pose un regard attendri sur les éternels atermoiements de ses personnages. Sans jamais chercher à expliquer les raisons de la rupture, il accompagne avec tendresse un homme et une femme ayant le courage d’admettre qu’il est temps de tourner la page, tout en accordant le temps nécessaire pour continuer à écouter l’autre, notamment pour honorer ce qui est en train de se transformer en souvenir.


C’est ce point crucial qui justifie la forme ludique du film. D’abord érudit, au risque de paraître pédant (en convoquant Cavell, Bergman, Kierkegaard et consorts), le récit se déploie en conversations qui consolident une décision, tout en accroissant le respect pour l’autre. Jusqu’à ce que le dispositif formel prenne le relais dans une étonnant rupture, où l’on découvre que la femme, réalisatrice, est en phase de post production du film que nous sommes précisément en train de regarder. Soit une mise en abyme singulière, où le film encadré et encadrant auraient fusionné. Au-delà de la fantaisie et d’un goût pour l’absurde, c’est aussi une évocation profonde de l’interaction entre fond et forme. Les discussions de la réalisatrice sur la fonction de la musique et les pouvoirs du montage, dont on voit les effets sur le film lui-même par l’entremise de quelques essais formalistes amusés et parfois volontairement maladroits, poursuit cette idée d’enrichir un état de fait inévitable (le silence qui suivra la séparation) par un travail de prolongement qui traquera, dans la durée d’un plan, le cadrage sur un visage ou l’émotion d’une musique toute la richesse des non-dits.


Pour mieux faire le portrait de sa compagne, Alex suit le conseil de sa prof de peinture, qui lui conseille de mettre le tableau à l’envers, pour se concentrer sur les lignes, et non le visage figuré. Symbole évident de tout le projet de Trueba, qui offre à ses protagonistes les ressorts de l’art pour sublimer et signifier les lacunes évidentes du réel. La fête aura bien lieu, mais presque hors champ, et durant le générique de fin : ce qui compte surtout, c’est la capacité de l’œuvre à se regarder l’un l’autre, dans le passé (les vidéos amateur et toute leur charge amoureuse), au présent avant de poursuivre sur des routes aux directions différentes.

Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films sur la vie de couple, couple, Espagne, Les meilleurs films espagnols et Rumeurs Cannes 2024

Créée

le 4 sept. 2024

Critique lue 979 fois

28 j'aime

9 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 979 fois

28
9

D'autres avis sur Septembre sans attendre

Septembre sans attendre
Plume231
7

Une séparation !

Jusqu'ici, le cinéma de Jonás Trueba suivait, pour ses longs-métrages, une même structure filmique en alignant les longues séquences dialoguées, souvent filmées en plan-séquence, le tout autour d'un...

le 29 août 2024

18 j'aime

5

Septembre sans attendre
Moizi
8

Nous ne vieillirons pas ensemble

Septembre sans attendre est le 7e film que je vois de Jonas Trueba, je connais ses thématiques, ses obsessions et son goût tout particulier pour mettre des réflexions métafilmiques là où il y en...

le 28 déc. 2024

12 j'aime

Septembre sans attendre
Marcus31
3

Sur l'écran et dans la salle, l'ennui

Comme je suis un gars plutôt gentil et que je n'ai pas la prétention d'être un pro du cinéma, je préfère écrire que je n'ai pas du tout aimé plutôt que d'inscrire le terme navet dans cette chronique...

le 10 sept. 2024

10 j'aime

3

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

719 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

623 j'aime

53