Plusieurs années déjà que ce film est annoncé. Après moult spéculation sur d'éventuelles sorties en salles/videos, il est enfin clair que le cinéma hongkongais n'a pas d'avenir en France. Un dépaysement trop tel, des codes bien trop différents que ceux qu'on nous impose à répétition. Tout autre film aurait fait plus d'entrées que ça. L'année dernière, Limbo, ne put profiter d'un engouement à la hauteur du projet. Ici, c'est aussi le cas.

Quand une telle palette de talents est au rendez-vous pour une même oeuvre, difficile de rester passif, d'autant plus lorsqu'on raffole du cinéma de ce pays. Ringo Lam, Patrick Tam, Ann Hui, Tsui Hark, Yuen Woo-ping, Sammo Hung et Johnnie To, rien que ceux-là.

Etonnamment, j'ai trouvé le film plutôt régulier, avec pour chaque réalisateur, une patte et des thématiques différentes. Certains segments sont très denses, d'autres minimalistes (dont celui de Sammo Hung, ce qui ne lui ressemble pas.Le fait que l'oeuvre se focalise sur une même ville, comme dans PARIS VU PAR, aide en quelque sorte à ne pas isoler chaque segment, et à les considérer comme appartenant à un ensemble.

En faisant des courts-métrages qui ne se ressemblent pas, se focalisant chacun sur des aspects précis de la ville d'Hong Kong (sociaux, sociaux...), on a, à la fois un renouveau constant de la forme (et du fond), et à la fois UN film cohérent sur UNE même ville.

Commençons par le Sammo Hung. Ici, il tombe dans un minimalisme narratif, jouant en permanence avec des éléments de temporalité, et ce avec brio. Un quart d'heure, c'est court, et Sammo l'a compris en réalisant ce film. Il joue habilement avec des motifs illustrant le temps : le réveil, l'utilisation de la musique etc.. C'est la meilleure chose faire pour marquer une évolution de personnage dans un temps très limité.

Le film, en plus de parler de la jeunesse de ce pays, est une retranscription allégorique de sa vie. Sammo Hung interprètera même le personnage principal adulte, au sommet de son évolution. Une spiritualité mise en avant, et transcendée par les thématiques du film d'arts-martiaux : l'honneur, la fraternité, l'entraide.

Sammo ne fait pas un film de Kung-Fu dans la pure tradition du spectacle, mais y amène ses thématiques, avec son savoir-faire en terme de réalisation. Une mise en scène organique et expressive qui capte le mouvement, dans le mouvement, comme Blade of Fury, Pedicab Driver et tant de chefs d'oeuvre qu'il a réalisé. Le voir s'essayer à un genre plus intimiste, le drame, surprend, on n'attendait pas ce cinéaste dans ce registre. Serait-ce un sensible le petit Sammo ? 

Le segment d'Anne Hui illustre parfaitement la misère sociale du pays, avec un naturalisme aussi bien visuel que sonore. Ce film, ayant en vedette un professeur d'école et ses élèves, pointe du doigt les failles du système scolaire, mais là où l'oeuvre aurait pu être un plaidoyer fort qui prend aux tripes, Hui ne se limite pas qu'à ça, et vient romancer son histoire. 

Elle tombe malheureusement dans une outrance émotionnelle qui m'a un peu gêné, le film devient qu'un simple produit de cinéma, malgré son sujet fort et maîtrisé dans sa première partie. Cette absence d'intention brise le naturalisme, qui devient aussitôt artificiel, et qui rend dubitatif le spectateur en fin de visionnage. La sensibilité de la réalisatrice est ensevelie par la maladresse d'écriture.

Le segment suivant est l'un de mes préférés. Une histoire d'amour, un simple au revoir, mais avec une force évocatrice exceptionnelle, signée le grand et l'unique, Patrick Tam. Responsable de grands films, tels que My Heart is That Eternal Roses, pilier de l'Heroic Bloodshed, mais aussi Final Victory, film d'amour magnifique scénarisé par Wong Kar-Wai.

Ce film, prenant la forme d'un huis-clos, nous raconte la dernière nuit entre deux personnes qui s'aiment, qui vont devoir se quitter. Un premier amour, la douleur de ce dernier, mêlé à un besoin d'avancer et à la curiosité du futur. On ne tombe pas dans un mélodrame unilatéral, on est dans un entre-deux, entre la tristesse et la joie : la mélancolie. Le duo principal est parfait, ils ont compris ce qui se joue ici. La sensibilité du réalisateur passe aussi par la sobriété de la mise en scène, les travellings nous bercent, et la musique transcende nos âmes.

J'ai été ému, j'aimerai que Patrick Tam réalise un long-métrage en partant de ce postulat de départ, ça serait gigantesque, car son génie côtoie celui d'Eustache : La Maman et la Putain.Quand j'ai vu que le prochain sketch se passerait en 1997, j'ai tout de suite pensé à la rétrocession d'Hong Kong, passant du protectorat britannique au chinois. Yuen Woo-Ping n'est pas le plus grand réalisateur du Septet, mais alors son film.. quel coup de génie ! C'est formidable, le meilleur des 7 proposés.

Un vieil homme, fervent admirateur du cinéma d'arts-martiaux, et lui même ancien pratiquant, transmet sa passion à sa petite fille, qui elle aussi partage ce qu'elle aime, des traditions modernes, avec lui. Cette coexistence est magnifique. Il m'est plus facile de m'identifier à cet homme, admirateur de Wong Fei-Hung, car je suis aussi fan des adaptations cinémas de cet héros national. On pense à la saga Il était une fois en Chine de Tsui Hark, mais il est encore plus intéressant de constater qu'en 1993, Yuen Woo-Ping aussi a fait un faux-biopic de ce personnage historique : Les Griffes d'Acier.

Yuen Woo-Ping se fait vieillissant, j'ai vu en cet homme âgé, une représentation douce-amère de sa vie. Dans ce conflit que j'évoquais, sur les traditions qui se meurent, et celles qui apparaissent, il est intéressant d'évoquer que la petite-fille du grand-père vit en Amérique, les traditions orientales ancestrales se confrontent à celles de l'occident. Et cette acceptation entre ces deux zones éloignées si différentes, nous touche autant que la  relation fusionnelle entre ces deux personnages.

Avant de passer au réalisateur suivant, j'aimerai évoquer cette courte scène de combat, courte mais terriblement bien chorégraphiée, comme au temps de la Shaw Brothers et de la Golden Harvest, magnifique. Ce segment était émouvant, traite avec brio le conflit des générations, en parlant de la vieillesse, de la transmission, de la succession etc.. Court-métrage pacifique, beau, mais aussi très drôle.

Johnnie To, avec ce cinquième segment, traite du monde de la finance, sujet déjà étudié en 2015 dans Office, comédie musicale particulièrement efficace du metteur en scène. Le côté très figé et rigide de la mise en scène de To illustre d'une manière efficace le gigantisme des buildings, et le milieu très encadré de la bourse. To est un grand formaliste, n'hésitant pas à esthétiser comme Michael Mann, le moindre écran informatique, ainsi que chacun de ses détails. Le court-métrage est bien plus sociétal que les autres, le modernisme aiguë de la ville, son industrialisation et toutes ces vies qui grouillent, qui arpentent, et qui sont bruyantes etc.. Le sujet est intéressant, mais peut être trop complexe pour un format court.

Passons au sixième segment, signé Ringo Lam. Admirable metteur en scène qui nous a quitté en 2018. Je l'attendais avec impatience, et même s'il n'a pas surpassé mes attentes, il reste intéressant et touchant. Ringo Lam parle des changements à Hong Kong depuis la rétrocession de 1997. Le sujet m'a touché, et avait tout pour s'asseoir au sommet du Septet. Simon Yam détient le rôle principal en plus, difficile de trouver une figure du cinéma faisant mieux le lien entre les deux Hong Kong (pré-1997 et post-1997). Les anciennes valeurs disparaissent au détriment d'autres, mais cette vision est tout sauf manichéenne et pessimiste.

J'ai trouvé ce segment trop doux, et sans prise de risque, il fait le travail, mais c'est tout. Ça n'en reste pas moins touchant, Ringo Lam qui finit sa carrière par une lettre d'amour/adieu à la ville qu'il a tant aimé, ça parait logique ? Oui mais ce n'est pas inspiré quoi.. Aussi bien au niveau scénario que mise en scène, c'est trop écrit, trop standard. Je préfère le Ringo Lam complètement fou, qui fait des films très nihilistes, ça lui convient mieux. On pense à ses films On Fire : City On Fire notamment, et son sommet : Victim. Ringo Lam aime Hong Kong oui, mais je le savais, et j'avais besoin d'autre chose, qu'il me dise quelque chose d'incertain, qu'il soit un peu moins optimiste sur le Maintenant et sur l'Avenir.

Le dernier segment, de Tsui Hark était génial, et je n'en attendais pas moins de ce réalisateur. Il fait la synthèse des six précédents courts-métrages, dans un asile psychiatrique, en proposant une mise en abîme intelligente, qui vient relier les segments. Ce dernier film nous donne l'impression que Tsui Hark se sentait obligé de nous dire que cette ville existe, en créant du lien entre les segments. Finalement, c'est comme ça qu'il nous montre son amour pour cette ville.

Pour moi, Tsui Hark crée la Mémoire d'une ville, la représentation d'une conscience collective.

Le segment est très drôle en plus d'être pertinent. La mise en scène joue avec les codes du métafilm, jusqu'à briser intelligemment le quatrième mur. Ces cinéastes nous ont invité à profiter de la Mémoire d'Hong Kong, s'adressent à ses habitants, mais aussi à ceux qui n'y habitent plus, tout comme aux vivants et à ceux qui ne sont plus. L'intimité d'artistes pour une entité existante nous a été partagée, j'en ai profité, et je les remercie.

Le cinéma Hongkongais est de nos jours pratiquement mort, mais il nous reste cette Mémoire pour nous rattacher à lui. Ne l'oublions pas.


Créée

le 29 nov. 2023

Critique lue 77 fois

Paul SAHAKIAN

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