"No sex. A gentleman's agreement."
Six ans à peine après la sortie du tout premier film parlant, Lubitsch commence son film par une scène muette.
Une jeune femme entre dans le compartiment d'un train. Deux jeunes hommes y sont déjà confortablement installés, les pieds négligemment posés sur la banquette d'en face. Ils dorment paisiblement. Intriguée, la jeune femme les observe, et ouvre un carnet à dessin pour croquer leur portrait…
Durant ces quelques minutes de silence, où il nous est donné d'admirer à loisir les gueules d'ange de Gary Cooper et Fredric March, et de lire la surprise sur le visage de la pétillante Miriam Hopkins, on ne se doute pas encore que le génie de cette brillante comédie puisera son souffle non seulement dans la précision du jeu burlesque mais aussi dans un sens du dialogue quasi inégalé depuis.
Son croquis achevé la jeune femme s'endort à son tour, laissant ses pieds reposer sur la banquette d'en face. La situation peut continuer d'évoluer sans un mot, dans une parfaite symétrie.
La main du beau Gary Cooper venant accidentellement effleurer le doux pied de la portraitiste, le jeune homme sort de ses rêves agités et découvre la belle endormie. C'est au tour des deux hommes d'observer cette intrigante jeune femme, puis de la réveiller.
La rencontre a eu lieu. Le dialogue à trois peut alors commencer.
Avec un sens du rythme précis, ciselé, dont chaque rupture est étudiée, Lubitsch mène son trio d'amoureux contrariés à travers les nombreuses péripéties et rebondissements qu'ils vont rencontrer.
Car découvrir que son meilleur ami est aussi votre rival est une chose difficile à vivre… d'autant plus lorsque la jeune femme, indécise, propose de fonder une relation platonique à trois ! L'enthousiasme quasi naïf de ses trois artistes fauchés sera maintes fois éprouvé, mais finira-t-il par l'emporter ?
Cette comédie de moeurs dont le propos n'a dû manquer de faire sourciller quelques âmes pudibondes en cette année 1933, dépeint alors en toute légèreté, les conflits entre passion et raison, entre orgueil et désir, que vont créer cette situation inédite…
Lubitsch, ancien acteur lui-même, développe une grammaire visuelle dont la simplicité n'a d'autre but que l'extrême lisibilité. limitant les effets de mises en scènes trop visibles, se reposant souvent sur une capacité de suggestion prodigieuse héritée du cinéma muet - On pense aux ellipses lourdes de sens, à celles qui créent la surprise, et encore à la scène géniale du choix du lit nuptial, filmée de l'extérieur du magasin, où le dialogue est inaudible, mais dont le sens saute aux yeux - Lubitsch peut ainsi laisser littéralement exploser à l'écran toute la fantaisie de jeu de ses comédiens. On sent encore la jubilation que ces trois-là ont eu à incarner leurs personnages.
La structure rigoureuse du récit, la précision de la mise en scène, le jeu pétillant de ces véritables grands enfants, l'intelligence des bons mots, la grâce des belles phrases, et la conclusion heureuse du film font de Sérénade à Trois un bijou de comédie, une leçon d'impertinence et de gaieté.
A voir absolument.
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