Le cowboy qui était né trop tard
Deux ans avant la sortie de "Pour une poignée de dollars", ce film à la traduction trop littérale annonce symboliquement la mort du western traditionnel tel qu'on le connaissait jusque-là. Ici, les ennemis ne sont pas les Indiens, les animaux sauvages et les brigands armés, mais plutôt l'urbanisation, la loi et la norme sociale...
Solitaire et épris de liberté, John W. Burns est un nostalgique du Far West du XIXème siècle. Incapable d'affronter le monde moderne et de renoncer à un mode de vie dépassé, cet ancien militaire vit sa vie en symbiose avec la nature comme le faisaient autrefois ses aïeuls. Pourtant, autour de lui, le monde a changé : la loi et l'ordre ont été instaurés, des frontières et des clôtures un peu partout se sont érigées, mais "Jack" n'en a que faire, et pour lui, toutes ces inventions de l'homme n'ont aucun sens. Utopiste et hostile à toute idée de changement, cet individu broyé par la société continue de vivre à l'ancienne, sans adresse fixe et sans papiers, et dans une scène surréaliste, on le voit ainsi tenter de traverser à dos de cheval une large route goudronnée où circulent voitures et camions !
S'il ne se sent plus à sa place dans un monde devenu trop moderne, ce marginal n'en reste pas moins fidèle en amitié, et pour aider un vieux copain qui s'est fait incarcérer, il n'hésitera pas à prendre quelques coups et à se faire arrêter pour le rejoindre derrière les barreaux. Après son évasion, il sera logiquement poursuivi par une poignée de flics peu dégourdis, et son seul espoir se résumera alors à rejoindre le Mexique par la voie du désert. Mais sur sa route, il trouvera un massif montagneux qui lui donnera du fil à retordre, d'autant plus que sa jument Whisky n'est pas encore parfaitement dressée.
Dès lors que John entame l'ascension des montagnes Sandia du Nouveau-Mexique, ce drame prend une autre dimension. La comparaison avec le premier Rambo est alors évidente, et tout comme le vétéran incompris du Vietnam, il devient la proie d'une chasse à l'homme qui le dépasse totalement. Seul contre tous, il est acculé et le terrain hostile ne joue pas vraiment en sa faveur : les pentes sont raides, les éboulements de pierres sont fréquents, et la pauvre Whisky est complètement désorientée dans cet environnement qu'elle ne maîtrise pas. Ajoutez à cela un gardien de prison sadique et un hélicoptère qui vous suit à la trace, et vous aurez une idée du calvaire enduré par notre intrépide héros.
Malheureusement, le final est largement prévisible, la faute à un montage mal pensé. Mais il faut bien admettre que Kirk Douglas est étonnant de justesse dans un genre qui n'était à priori pas le sien, et dans ses mémoires, il estimera même qu'il s'agissait de son meilleur film. La relation qu'il entretient avec sa jument sauvage et joueuse est touchante du début à la fin, et la scène finale sonne comme un retour abrupt à la réalité pour celui qui vivait jusque-là sans sa bulle. Enfin, dans un registre plus comique, les fans de la série "Twin Peaks" seront sûrement ravis de découvrir un cousin éloigné du fantasque Andy Brennan au sein des forces de police locales (...right !).
Vous l'aurez compris, ce western crépusculaire volontairement filmé en noir et blanc annonce la fin du mythe du Far West, avec son code moral et ses espaces infinis. Son personnage principal aurait largement eu sa place dans l'Amérique désertique et violente que l'on a vue tant de fois au cinéma, mais si je puis dire, il a eu le "malheur" de naître quelques décennies trop tard...