C'est la première fois que je découvre Tsui Hark dans une pure comédie, et il réussit bien son coup. M'enfin, ce n'est pas tout à fait vrai, le ton est quand même globalement tragi-comique, même si finalement le comique prend le dessus, du moins jusqu'au final qui se révèle plutôt doux-amer, comme un certain The Lovers dont il reprend pas mal la logique narrative, en débutant par quelque chose de relativement léger pour ensuite nous achever émotionnellement, le sagouin.
On ne peut pas dire que Shanghai Blues soit le film le plus connu de Tsui Hark, et c'est bien dommage tant il traîne derrière lui un certain sentiment d'accomplissement, là où les précédents demeuraient assez bordéliques et expérimentaux. Et par delà ce sentiment de finition, ce qui m'a fasciné dans ce film, c'est qu'on y retrouve la fronde critique de L'enfer des armes (ça nous parle tout de même des difficultés de l'après-guerre de survivre à tous les niveaux, tant matériellement qu'affectivement), mais le tout transformé en comédie de moeurs. Le message n'en demeure pas moins puissant, surtout que c'est rythmé de bout en bout grâce à des comiques de situation gérées de main de maître, toujours parfaitement lisibles, percutantes, et drôles.
Au niveau de la réalisation, c'est aussi du beau, Tsui Hark nous offre tout simplement une magnifique fresque de l'époque des années 50-60, tant au niveau des couleurs, des décors, des costumes et des plans, très classes en termes de composition. Et encore une fois, les séquences comiques, à base de parties de cache-cache et de quiproquos, révèlent un sens de l'espace maîtrisé à la mécanique redoutable. Sans oublier les acteurs qui sonnent tous justes (et j'insiste sur ce point), aussi bons dans les séquences de drame que de comédie, avec des ruptures de ton qui nous font aisément passer des rires aux larmes (celles sur le toit et dans le train sont tous simplement magiques).
Certes, le coeur du film est relativement léger, reposant sur deux âmes soeurs qui avaient juré de se retrouver (ça se complique avec l'arrivée d'un second protagoniste amoureux, et franchement, il était pour moi impossible de les départager), et se retrouvent par hasard en se tournant autour comme des niais sans le savoir, mais ça fonctionne du tonnerre, avec une toile de fond toujours intéressante à suivre et riche en détails, où le pire est toujours évité de justesse mais du coup n'est pas moins montré du doigt. Selon moi, ce film est tout simplement ce que Tsui Hark a pu faire de mieux jusqu'à ses deux premiers films sur Wong Fei Hung, à la fois magnifique, drôle, et émouvant.