Le film est intéressant et même irréprochable sur le fond mais il peine à s'inscrire dans la prestigieuse lignée des films d'enquête journalistique à l'américaine, comme 'Spotlight' et 'Les Hommes du Président'.
Deux journalistes du New York Times, Megan Twohey et Jodi Kantor, ont de concert mis en lumière un des scandales les plus importants de leur génération, le scandale Weinstein. À l’origine du mouvement #Metoo leur investigation a brisé des décennies de silence autour du problème des agressions sexuelles dans le milieu du cinéma hollywoodien, changeant à jamais la société américaine et le monde de la culture.
Sur le fond, le film est très intéressant. Il traite de son sujet de façon sérieuse. L’enquête révèle des agissements et un système très édifiants. On voit la méthode d’opération de Weinstein, comment il se débrouille pour se retrouver seul avec une femme dans une chambre d’hôtel, comment il utilise sa notoriété et son pouvoir pour manipuler et brutaliser les femmes de son entourage professionnel. Le ‘modus-operandi’ est montré de manière claire et précise. L’homme est un monstre capable d’anéantir des femmes psychologiquement et de détruire leur carrière dans l’industrie cinématographique. Ce côté édifient est que l’on ne quitte jamais la psychologie des journalistes qui semblent totalement retournées de l’ampleur de ce qu’elles apprennent. On découvre avec elles l’avancement de l’enquête. Ça, c’est assez réussi.
Mais formellement, on ne peut pas dire que le film est à la hauteur de ses illustres ainés, à savoir des films comme ‘Les hommes du président’ d’Alan J. Pakula ou du ‘Spotlight’ de Tom McCarthy. Le film d’enquête journalistique est en effet un genre cinématographique dans lequel le cinéma américain excelle. Là, ça n’est pas tout à fait le cas. Le film n’est pas assez efficace, pas assez incisif. La réalisatrice fait le choix d’accorder beaucoup de place aux victimes et à leur témoignage. Les flashbacks des agressions et la présence d’Ashley Judd (l’une des premières femmes à avoir dénoncer Weinstein) dans son propre rôle est assez symptomatiques et révélateurs de l’importance que laisse Maria Schrader aux victimes. Le point de vue des enquêtrices cohabite avec celui des victimes et la réalisatrice n’a pas vraiment su choisir sur quel bord se poser. Conséquemment, le film hésite et perd en rythme. C’est dommage. ‘Spotlight’ par exemple faisait le choix de ne suivre que les journalistes du Boston Globe.
Ce choix fait de varier les points de vue fait qu’on ne sent pas tellement le travail journalistique. Certes on les voit enquêter, recueillir les témoignages, patauger mais par exemple, on ne les voir pas écrire leur article contrairement au film de Pakula. Le temps d’écran dédié à l’enquête est tellement important que l’article semble avoir été écrit en deux minutes. Le scénario a sans doute été mal dosé, mal équilibré. Il s’encombre en évoquant la vie privée des journalistes, notamment une qui vient d’accoucher et qui en pleine crise de post-partum. C’est inutile et on ne voit vraiment pas l’intérêt d’ajouter cette mini-histoire, tant elle n’a rien à voir avec le canevas principal si ce n’est les difficultés de la vie d’une femme.
Il faut saluer tout-de-même le talent des actrices et plus particulièrement celui de Carey Mulligan qui est vraiment une grande comédienne. Tellement grande qu’elle est capable à elle seule de sauver un nanard (je pense au ‘Promising Young Woman’ d'Emerald Fennell). Elle est, dans ce film, remarquable. Il suffit de la voir, dans une scène. Je pense à une scène de confrontation avec Weinstein, où celui-ci est dos à la caméra et où elle exprime la complexité de sa réaction. Saluons aussi la versatilité de la réalisatrice allemande Maria Schrader qui nous revient après ‘I’m your man’, une comédie assez réussie sur l’intelligence artificielle. ‘She said’ a le mérite de susciter ma curiosité pour son prochain film.