J'ai vu presque une trentaine de Godzilla à ce jour (donc pas tous encore) et suis assez rôdé quant à ses codes et son langage, surtout du côté de la saga japonaise. Mais ce reboot m'a totalement pris par surprise en abordant le monstre d'un angle nouveau, tout en restant très fidèle à son ADN. Déjà, choisir Hideaki Anno à la réalisation était une remarquable idée, il filme le film catastrophe comme une fourmilière et à travers des procédés cinématographiques pourtant très marqués il confère au récit une dimension réaliste assez vertigineuse.
Dans un film catastrophe lambda (comprenez ici un film catastrophe américain), on a souvent un héros ou un groupe de héros dont la survie va primer avant tout ; peu importe la destruction et les centaines voire milliers de victimes autour d'eux, tant que ces héros survivent, l'espoir demeure et est, en réalité, rarement mis en péril. Le spectateur regardera des immeubles entiers s'écrouler et un paquet de vies s'éteindre sans vraiment broncher puisqu'il sera focalisé sur la survie des personnages principaux ; c'est seulement si l'un d'eux vient à périr qu'il pourra s'émouvoir. Ici, Hideaki n'a pas vraiment de héros déterminé puisqu'il s'attarde, particulièrement dans sa première partie, à représenter la réponse au danger représenté par Godzilla comme une débâcle administrative où tous les protagonistes, extrêmement nombreux et apparemment compétents chacun à leur poste, sont toutefois incapables de parvenir à des solutions promptes et efficaces. Cette inaptitude très marquée, qui donne au film son aspect satirique, est donc le moteur du film au même titre que le kaiju jusqu'à ce qu'un groupe, mené par une figure principale, finit par tirer son épingle du jeu.
Le personnage principal du film est donc l'ensemble des composantes de la réponse administrative du Japon, d'ailleurs, chaque intervenant, même le plus insignifiant, chaque modèle d'avion, de tank, etc... est nommé dans le film par un sous-titre. Ce faisant, Anno parvient à personnifier une entité aussi complexe qu'une administration gouvernementale, et en plaçant son combat contre Godzilla au coeur du film, il redéfinit les enjeux d'un film catastrophe. Les personnages principaux ont la particularité de n'être presque jamais en contact avec Godzilla, le danger ne les concerne donc pas immédiatement, Ici, chaque building détruit, chaque avion abattu, chaque citoyen écrasé devient une défaite. L'urgence est ainsi renforcée, le désespoir et la terreur deviennent plus tenaces car les "héros" ne se démènent pas pour survivre, on sait d'ailleurs que la plupart ont la possibilité d'être évacués, mais pour s'assurer de la survie du plus grand nombre, puisque dans sa conclusion, le danger n'est plus tant Godzilla que les moyens que l'Humanité est prête à mettre oeuvre pour s'en débarrasser.
Vous l'aurez donc compris, ce reboot ne se contente pas d'être le meilleur Godzilla depuis 1954, mais aussi l'un des films catastrophes les plus réjouissants qu'il m'ait été donné de voir. J'ai peu parlé de la bête en question, mais l'esprit Godzilla est toujours bel et bien là, et cette fois-ci dans une mouture qui lui fait vraiment honneur.