Kubrick ou le réalisateur aux deux visages
Jack Torrance est professeur. Egalement écrivain, il est tombé dans ce qui fait chuter bon nombre de ses homologues, l'alcool. Il fuit, le temps d'un hiver, l'univers écoeurant dans lequel il vit et part surveiller un hôtel dans le Colorado. L'ensemble est fermé en période de grand froid, et Jack porte donc sur ses seules épaules la responsabilité de l'un des joyaux des Etats-Unis, si l'on en croit la liste longue comme un bras d'hommes de grande importance à y avoir séjourné. Jack Torrance va donc passer plusieurs mois reclus dans un hôtel bloqué du reste du monde, avec sa femme et son fils. Il y va pour écrire, d'une part, mais surtout pour se soigner de l'alcool. Car sa dépendance l'a mené à frapper son fils et à l'envoyer à l'hôpital. Une cure est donc nécessaire. L'alcool de l'hôtel est sorti du bar avant la fermeture saisonnière, il n'y a donc rien à craindre. Puis le fils a un pouvoir assez improbable et peut, entre autres, dialoguer avec les autres possesseurs de ce pouvoir, dont l'un des membres du staff de l'hôtel, qu'il peut joindre en cas de problème. Rien à craindre, je vous dis !
Sauf que Jack Torrance devient fou. Sans alcool. Et c'est là que ça devient problématique. Pour cette petite famille qui s'est mise dans une situation plutôt inconfortable, mais aussi pour le spectateur que j'étais. J'adore Stephen King et ce livre était sans doute mon préféré dans sa collection. Je m'attendais à un chef d'oeuvre, surtout avec Kubrick à la baguette, et avec Nicholson derrière la caméra.
Ce dernier n'est pas mauvais. Il est fidèle à lui-même, c'est-à-dire hors du commun. Il fait partie de ces acteurs qui évitent à un film d'être un échec. Et, effectivement, c'est ce qui arrive avec Shining. Jack Nicholson est tellement dans son rôle que c'en serait presque effrayant, tant il joue un personnage qu'il ne fait pas bon fréquenter. Mais c'est un film, et l'acteur fait ce pour quoi il est là. Il joue. Et à merveille.
Pourtant, à côté de cela, je ne trouve pas grand chose à dire pouvant améliorer le crédit de ce film. La femme et le fils de Jack, joués par Shelley Duvall et Danny Lloyd, ne correspondent absolument pas aux rôles qui leurs sont attribués. La première joue franchement faux, avec des mimiques et des rictus loin d'être naturels. Le second est dans l'excès. Certes, un film réalisé par Stanley Kubrick selon une oeuvre de Stephen King doit être excessif. Mais pas à ce point. Pas autant que ce que fait Danny Lloyd. Les (trop) nombreux moments de crise de son personnage ne font pas peur, ils ne rendent pas mal à l'aise. Parce qu'on ne peut pas croire que c'est réel. Pour faire un bon film, il faut que le spectateur s'intègre au film, qu'il y pénètre. Le jeu de ces deux acteurs rend cela impossible. La crédibilité de ces deux-là est nulle, et c'est ce qui fait que ce film n'est, pour moi, pas un bon film. Pas mauvais, pour autant. Mais pas bon.
En partant du principe que la note minimale est 1, j'ajoute 2 points pour la prestation de Nicholson et 2 pour le scénario de base, qui est tout de même excellent. Mais j'enlève un point pour le reste de la famille Torrance. Le livre m'a fasciné du début à la fin. Tout l'inverse du film, que je n'ai pas trouvé à la hauteur. J'espérais pouvoir mettre un 8. C'est ce que je donnerais comme note au livre. Mais l'adaptation d'un livre est une bête difficile à prendre en main, que Stanley Kubrick n'a, sur ce film, pas su dompter. C'est une énorme déception, venant de l'un de mes réalisateurs préférés adaptant mon auteur préféré.