La conscience dans tous ses états
D'emblée la première scène donne le ton : le marshal Teddy Daniels vomit dans les toilettes du ferry qui le conduit à Shutter Island. Il lève la tête et voit son reflet dans le miroir qui projette une image de lui défaite. D'évidence, ce reflet le trouble et lui déplaît. Pourtant, il ne cherche pas à l'affronter comme l'aurait fait Travis dans Taxi Driver du même Scorsese, ou le Vinz de la Haine. Teddy Daniels au contraire va s'enfoncer peu à peu dans son propre reflet. Aussi le miroir (de son âme) met-il le film sous le joug d'une inquiétante duplicité. Et partant, Scorsese donne moins à voir le déroulement de l'enquête que les méandres d'une conscience particulière. Ainsi on va et on vient entre passé et présent, réalité et fiction, lucidité et schizophrénie. L'enchevêtrement remarquable des cauchemars et des flashbacks hantés par la présence de Michelle Williams teinte le film d'une poétique tout onirique. Et les tempêtes, et les vents qui viennent cogner contre les falaises, et la forêt dévastée sont autant de métaphores visuelles. Labyrinthe kafkaïen dont Dicaprio perdra toujours le fil, Shutter Island est un film somptueux, saupoudré ça et là de noirceur hitchockienne. La réalisation est en effet glaciale et brute, accompagnée d'une musique sourde chargée d'angoisse. Et si le retournement de situation tant attendu est en fait assez superficiel, c'est pour mieux insister sur le protagoniste. Le film s'évertue en réalité à dévoiler la faille psychologique du héros blessé. Aussi Shutter Island est-il plus le drame de la faute et de la culpabilité qu'un simple polar angoissant et surnaturel. Shutter Island, c'est une île dont on ne revient pas, un pays de fous, un espace clos sur lui-même aux contours granitiques et infranchissables, à l'image même de son nom, Shutter.