Belle affiche pour un thriller passionnant.
En 2010, Scorsese nous a livré deux excellentes réalisations. Comme à son habitude, il nous a parlé de la face sombre de l'histoire américaine. Le pilote de la série Boardwalk Empire (sur la naissance de la prohibition), puis cette oeuvre fictionnelle déroulée avec Maestria par le Maestro ont rythmé cette "année Scorsese". Ce Shutter Island prend comme toile de fond la Guerre Froide, en faisant du spectateur le témoin oculaire de la descente aux enfers d'un ancien soldat devenu Marshal Federal.
Je ne m'amuserais certainement pas ici à critiquer la technique magistrale de Scorsese, DiCaprio et Kingsley, ce dernier étant impeccable à tous égards. Je préfère me concentrer sur la façon dont la folie s'insinue dans l'esprit du spectateur, jusqu'au dénouement final, avec ce plan sur le phare.
Il aura certainement fallu beaucoup de travail documenté pour rendre de façon aussi palpable ce qui est en fait un délire, une mascarade, puis un drame.
On peut se douter, dès la première image de l'île, que "Teddy Daniels" est bien plus sombre que lui laisserait apparaître son statut d'enquêteur. Mais on se laisse pourtant porter par une enquête qui nous a l'air somme toute "banale". Enfin, si l'on excepte qu'elle se déroule dans un asile posé sur une île dont on ne peut s'échapper. Une bonne partie du film nous place en adhésion totale avec l'esprit de cet ex-marine, traumatisé par la guerre, puis par l'assassinat de sa famille.
Une fois son délire annoncé, ce qui arrive au trois quarts du film - au sous-sol de l'île - nous ne pouvons pas nous non plus nous prononcer sur la véracité de ce qu'il avance. On aimerait y croire jusqu'à la fin.
Mais cette scène en haut du phare, avec le Docteur Cawley, finit de dissiper le malentendu. Teddy Daniels - enfin Andrew Laeddis - est bien l'assassin de sa femme (elle-même meurtrière de leurs trois enfants) ; la personne qu'il cherchait depuis le début de l'histoire. Et il prouve sa dangerosité aux soignants en utilisant son arme à feu chargée à blanc sur eux.
J'avais besoin de vous rafraîchir la mémoire avant de passer à la folie de Laeddis, et son degré de réalisme, puis aux questions que ce film soulève.
Effectivement, la folie est bien documentée. Oui, la dissociation est possible. En particulier pour ceux d'entre nous qui ont subi le genre de traumatismes qu'a enduré ce héros. Le cerveau, pour se protéger et ne pas envoyer de signaux de suicide, peut décider de mélanger tous ses souvenirs pour que la réalité lui soit plus supportable. Au point où en est arrivé Laeddis ? Je ne sais pas. Laeddis cumule quand même de forts symptômes, jusqu'à une exagération surhumaine (Déni, Dissociation, Hallucinations, Bouffée Délirante Aiguë, Adhésion totale,...). Généralement, même un schizophrène n'adhère pas autant à ce que ses sens lui transmettent mal.
Oui, ces traumatismes peuvent être l'élément déclencheur d'une maladie complexe et d'une descente aux enfers dont on ne revient pas.
Revenons ainsi aux traumatismes subis par Laeddis en ouvrant le débat que peut susciter ce film. Cela pourrait d'ailleurs être les questions que Scorsese nous pose sur la dernière image (le phare où s'exécutent les lobotomies) :
Préféreriez-vous lobotomiser un cas comme celui de Laeddis, à n'en pas douter fou et dangereux, plutôt que vous évertuer à le traiter plus humainement ?
Laeddis est-il bourreau ou victime ?