Vous prenez :
Un réalisateur de renom qui n'a plus rien à prouver : sauf une dernière fois, car il y a toujours une "dernière fois" pour ses haters comme pour ses adorateurs. C'est ce genre de réalisateur qui leur a donné le goût du cinéma, mais c'est aussi ce réalisateur qui peut leur "enlever". Triste fin, n'est-ce pas.
Un acteur connu avec un jeu de comédien aussi détesté qu'aimé : les gens qui le détestent vous diront qu'il n'est que l'ombre de lui-même, film après film, montrant les limites de son jeu d'acteur. Les gens qui l'aiment, eux, diront le contraire et jureront que cela sert à merveille le film.
Un script ouvertement libre à toute envolée théorique : ça devient alors pour tout le monde une grande arène, une chasse aux procédés et aux mauvais choix de mise en scène vous dira-t-on, ça pimente les débats. Et puis on adore les demeurés au cinéma, mais on les trouve toujours très abscons (ou juste cons).
Shutter Island est donc un "mauvais" film acclamé.
Un parfait cas d'école pour démontrer la dichotomie prédominante qu'il y a dans notre société de divetissement, et davantage dans les critiques cinéma. Dans le SDA de J.R.R Tolkien, l'auteur nous impose, ou plutôt nous "propose" d'avoir un jugement de faits, compte tenu des nombreux descriptifs que Tolkien y fait. Sauf pour ceux qui iront creuser son oeuvre au plus profond d'elle-même. Généralement c'est un avis objectif que certains prôneront, puisque SDA était et restera un morceau de bravoure, fondateur de tout un genre et c'est en cela qu'il est délicat de porter, en premier lieu, un jugement de valeur. Qui plus est négatif. Et c'est là qu'on y vient, un film tel que Shutter Island fait s'imbriquer non seulement des faits mais aussi des éléments de valeur pour que le spectateur ne se brouille pas et fasse directement le lien entre l'univers mis en place, l'ambiance étouffante, et l'impact que ça a sur des humains facilement identifiables. Cette approche de ma part sur l'appréciation peut sembler imparfaite, mais c'est en tout cas une idée partielle de ce que j'ai pu ressentir jusqu'à maintenant au sujet de Shutter Island.
Ce que j'aime chez Scorsese, c'est que son cinéma est inégal. Mais c'est justement parce qu'il est inégal qu'il me touche. Et ce que j'aime d'autant plus dans Shutter Island c'est qu'il ne lève JAMAIS le voile, il y a une ambiguité entre la pscyhose du marshall et un possible coup monté de l'hôpital. Au-delà de toute notion de jugement sur quelque chose ou sur autrui, ce qui marque avant tout à l'esprit c'est tous ces parasites psychologiques qui alimentent la folie des personnages, ces syndromes bipolaires, post-traumatique, ou simplement dû au stress ambiant : ce sont des outils parfaits pour créer un réel malaise, pour peu qu'on accroche.
Et quand bien même il y a de l'excès dans Shutter Island, que ce soit de la part des acteurs ou du twist final, force est de constater également qu'il y a un montage à la fois épuré et minutieux, servant l'onirisme morbide du long-métrage.
Alors oui, peut-être que Sorsese a voulu faire son "Hitchcock" le temps d'un film, et c'est ce qui le rend sans doute pompeux et artificiel aux yeux de certains, lui reprochant de vouloir faire un film qui mettra à mal des personnes facilement impressionnables. Mais Scorsese est, à ce jour, l'un des rares cinéastes à savoir nous faire douter sur nos opinions et nos certitudes, sans jamais user de ficelles narratives ni trop voyantes, ni trop bruyantes. La question n'est pas de savoir si vous avez réussi à démasquer le fin mot de l'histoire avant la fin du visionnage, ça peut être satisfaisant pour vous, mais ça ne rentre pas dans les paramètres de notre perception qu'on a du film. Ce qui subsiste c'est la manière dont le réalisateur, avec l'aide de son acteur, est parvenu à mystifier et à calibrer son puzzle mental, un puzzle auquel aucune pièce ne manque.