Un gros morceau de cinéma ce Sibériade, pas moins de 4h20 tout de même. Andreï Kontchalovski est un réalisateur assez curieux, qui aura vraiment tout tenté, comme s'ils étaient plusieurs dans un même corps. Faire un film très soviétique dans l'âme comme dans ce cas précis, mais ne pas se refuser à côté de faire tourner Sylvester Stallone et Kurt Russel dans un film d'action décomplexé tel que Tango & Cash, il fallait oser. Oser car le cinéma russe des années 70, c'est tout un monde, toute une époque cinématographique construite d'une manière précise, que ce soit Andreï Tarkovski ou Larissa Chetpiko, tous ont un besoin de transcender le Cinéma de l'URSS, à travers des films lyriques.
Cette fresque historique prenant comme point de départ deux familles sur trois générations, l'une riche, et l'une pauvre, dans un village Sibérien, se focalise sur les tiraillements de ces deux NOMS qui se haïssent, sur plusieurs décennies. L'histoire ne se limite à ça, et déborde de sous-intrigues, rendant par moments le tout confus, sans pour autant être inintéressant. Le récit avance main dans la main avec sa mise en scène. L'un n'avance pas sans l'autre, le symbolisme de la réalisation, ainsi que tous ses leitmotivs font avancer l'intrigue de manière irréaliste. Une confusion se créée rapidement entre les différents degrés de réalisme. La réalisation fourmille d'idées visuelles, se renouvellement esthétique constant est une écriture à elle toute seul, donnant naissance à un autre sens de lecture, moins littéral, mais qui fait naître en nous une nostalgie entraînante.
Grâce à sa construction chapitrée, le réalisateur permet un renouvellement constant de l'oeuvre, en y transposant les thématiques qui le touchent. Etant donné qu'il est le scénariste de l'immense Andreï Tarkovski, je m'attendais donc à retrouver une représentation fantastique de la nature, parfois gaie, parfois effrayante, mais toujours d'une mélancholie terrassante. Ici, on retrouve une osmose entre la nature et les gens, mais aussi le mystère, la spiritualité, bref.. sans atteindre la maîtrise formelle de Tarkovski, Kontchalovski arrive tout de même à dire quelque chose, à le mettre en forme, et à toucher l'âme du spectateur.
La bande originale du film est composée par Eduard Artemyev, très grand compositeur russe ayant travaillé aussi pour des chefs d'oeuvre de Tarkovski, notamment Solaris et Stalker. Une composition électronique qui semble venir de l'au-delà, renvoyant directement au cosmos, au mystique, au métaphysique, mais surtout au destin. Un destin bordé d'une nostalgie douce-amère.
Une nostalgie mise en avant aussi par des flash-backs, par la construction d'une famille sur plusieurs générations, mais aussi par ce pathos très poussé, très commun au cinéma soviétique de ces années-là, qui ne tombe jamais dans le ridicule, grace à son utilisation maîtrisée, jamais gratuite, en lien avec le lyrisme du film. L'exagération des sentiments humains n'est jamais vaine.
Le film déborde d'influences visuelles, que ce soit ces interludes entre chaque grosse partie, dotés d'un frénétisme quasi vertovien, où des images d'archives se mêlent aux compositions d'Artemyev. Confrontant le fictif appuyé du film, à une réalité tangible, respectueuse des ouvriers.
L'imagerie sépia se rapprochant de Stalker, vient donner un cachet onirique au film, qui participe à la création d'un degré de réalité supplémentaire, venant se confondre à notre réel. Seulement, même si je trouve cette recherche esthétique somptueuse, ici elle résonne moins puissamment en moi car le film est moins mystique et lancinant que Stalker, plus terre à terre, et donc moins fort en symbolique, et donc en sens. Puis cette boue omniprésente, dont raffolera Alexei Guerman des années plus tard avec Il est difficile d'être un dieu...
Par moments, on ressent les inspirations expressionnistes allemandes, en particulier lors des séquences moins narratives et plus contemplatives, mettant en scène la nature, la forêt, avec une image colorisée sombre, à la Nosferatu.
D'ailleurs le film n'hésite pas à utiliser des procédés cinématographiques datés pour fin 1970.
Parfois le réalisateur se refuse les colorisations d'images, revenant à l'essentiel, à la nature-même dans ce qu'elle a de plus pure. Le film joue de ses contrastes, de ses nombreux effets de style, parfois grandiloquents mais jamais non-réfléchis.
Le film est une ode au pays, aux ouvriers, au cinéma, aux saisons, à la vie.
Toutes les thématiques se retrouvent au coeur d'un climax final explosif, qui vient tout remettre en cause. L'effondrement de Derrick, c'est l'implosion de tout, la fin de tout.
Après l'eau, l'air et la terre, le feu.