Signes a un drôle d'effet sur moi, dans le sens où je n'arrive pas à déceler sa véritable nature. Sommes-nous en présence d'un film à la con écrit et réalisé par un petit espoir prétentieux trop ambitieux pour ce qu'il avait à proposer dans la durée d'une carrière, où s'agit-il d'une satire intelligente et discrète portée sur une Amérique profonde et pudibonde nourrie à la malbouffe et shootée aux émissions de télévision variées?
Il est dur de trouver la limite entre ces deux extrêmes. L'hypothèse de la satire, si l'on doit séparer le traitement en deux, tient du contexte social, professionnel, environnemental et culturel des personnages : nos deux héros, Gibson prêtre et Phoenix ancien joueur de baseball trop virulent, représentent une Amérique rurale perdue dans ses champs qui vit tellement repliée dans sa carapace qu'elle rejette tout contact extérieur, particulièrement en ville (Gibson avec la pharmacienne, Phoenix avec un ancien collège de baseball).
La rencontre avec le militaire en dit long : aussi halluciné que le professeur de lettres de The Faculty quand il sera passé du côté des aliens, cet officier si décoré qu'on le croirait issu d'un manuel de propagande de l'armée tient un discours autrement plus hallucinant qu'il profère tous les clichés possibles lorsqu'on se représente l'Amérique fière et victorieuse, étendard des opportunités d'avenir et dernière défense de la veuve et de l'orphelin.
Son regard perdu, surjoué, très intense puisque ses yeux ne font que s’écarquiller place le spectateur dans une posture étrange, située entre le rire moqueur et l'embarras de son mauvais jeu d'acteur : serait-ce volontaire de la part de Shyamalan, lui qui fut si longtemps si sérieux dans ses deux premiers films à performance (de réalisation, d'écriture et d'acting), qu'il se serve de l'excès, du trop plein pour dénoncer une culture basée sur l'apparence, la manipulation, l'embrigadement?
Serait-il ainsi possible que les chapeaux en aluminium, pour le fou rire irrépressible qu'ils provoquent, s'érigent à l'écran en guise de dénonciation d'une Amérique qui croit tout ce qu'elle entend, voit (du moins croit voir), au point de faire référence à La Guerre des mondes, oeuvre à l'origine d'une manipulation générale connue de tout un chacun? Serait-il même possible que le statut de ce prêtre dégoûté de Dieu en veuille directement au manque de communication de cette Amérique du peuple pour laquelle il faut soigner les apparences, et ne surtout pas parler de ce qui ne va pas avec ses proches?
Ce rêve d'une famille modèle échoue cependant dès les cinq premières minutes de leur introduction : présentés comme des attardés, des hommes seuls à l'attitude peu constructive, les deux protagonistes semblent même guidés dans la vie par le comportement responsable (mais perché) de leurs enfants : découverte des signes par le fils, qui découvrira ensuite le langage alien à l'aide d'un baby-phone (c'est une astuce), théories au sujet des aliens proposées, une nouvelle fois, par le fils, et initiation à la télévision, dont le traitement ridicule dans l'intrigue prête plus à rire qu'à réfléchir.
C'est donc dans la forme que Shyamalan pèche; pas niveau esthétique, c'est globalement irréprochable : ses plans, tous très bien choisis, témoignent de la personnalité unique de ses cadrages, très proches des acteurs en laissant une place importante aux décors ainsi qu'à leur signification symbolique. La photographie y ajoute une âme des années 90, donnant à l'oeuvre cette personnalité un peu vieillotte pleine de charme et de sympathie.
Non, le problème vient de la représentation de ses idées par son écriture bordélique : là où la satire semblait totale, la propension de Shyamalan à toujours trop en dire pour mettre en avant ses qualités réflexives et philosophiques place l'oeuvre dans une branlette intellectuelle stérile (comme les termes l'indiquent, c'est souvent la finalité de la démarche) dont ne ressort en conclusion qu'une vision étriquée et ridicule des conséquences du deuil et de la recherche d'un but perpétuelle à la vie de l'homme, que "l'auteur" résume bêtement en deux catégories de gens (c'est si simpliste qu'on croirait la citation parodique), non pas ceux qui creusent et vous savez qui, mais bien ceux qui croient aux miracles et les autres aux coïncidences.
L'on aurait pu le considérer comme entièrement parodique et fin s'il n'avait pas tenté d'ajouter à sa prétendue critique sociale et culturelle un versant insupportable de réflexion métaphysique mal menée, à peine organisée, qui ne fait qu'effleurer à la surface de la surface la large et passionnante thématique d'un religieux qui rencontre une présence de vie extérieure à la Terre : le simple fait de l'avoir placé en phase de doute plutôt qu'au sommet de sa foi fait office de façon de simplifier le chemin narratif et réflexif d'un film qui n'avait finalement rien d'autre à proposer à son spectateur qu'un traitement comique du mythe de l'alien, saupoudré d'une introduction majestueuse, presque christique, de l'égocentrique Shyamalan, obligé de jouer dans son film et d'y trouver un rôle principal (qu'il tentera de justifier comme il le peut).
Croire que Signes s'interroge sur l'humanité, la religion, la présence d'une vie au delà de notre planète, c'est jouer le jeu de Shyamalan, entrer dans ses pistes brouillées, qui enjolivent souvent le fond de ses films par des propositions de thématiques profondes mais jamais approfondies : le véritable sujet de son long-métrage concerne en fait la famille, la place d'un père dont la femme, décédée, a été remplacée à la maison par un frère un peu marginal, asocial (rien de bien illogique à cela, il est interprété par Joaquin Phoenix) mais gentil dans le fond.
Il s'agit d'une quête de rédemption basée sur une invasion alien à petite échelle censée propulser la destinée des personnages vers la meilleure fin possible, quitte à bâcler le dernier acte en dévoilant un alien mal filmé, aux CGI minables, à l'éclairage minimal pour cacher la mauvaise finition des textures, le tout afin de renvoyer à ce que disait Phoenix un peu avant : il est impossible que le personnage de Gibson ne croit en rien, qu'il ne redevienne pas religieux. Cette rencontre ne pouvant être qu'un signe, Shyamalan enferme son personnage principal, que Gibson interprète en deux phases, soit inintéressé soit en surjeu complet, dans le stéréotype attendu du religieux fier de son parcours, et qui a enfin trouvé la rédemption tant recherchée.
La bêtise finale du raisonnement du réalisateur inscrit, après mure réflexion, son film dans les deux cases : Signes est à la fois une critique acerbe et cynique d'une Amérique profonde perdue et marginale, dans laquelle clichés et jugements règnent, ainsi qu'un bon gros nanar hilarant à la stupidité qui tâche (les deux frères, devenus pères par la force des choses, gâchent des repas puis se forcent à se serrer dans les bras, larmes à l'oeil, oublient l'inhalateur pour l'asthme du gosse, préfèrent se crêper le chignon que s'occuper de leurs deux enfants), au jeu d'acteur parfois excessif et au ton beaucoup trop sérieux pour ne pas se dire, au bout d'un moment, que Shyamalan pensait une nouvelle fois réinventer la soupe après les succès consécutifs de Sixième Sens et Incassable.
Il est dommage que son talent n'ait finalement tenu que sur deux ou trois films, et pas de la façon escomptée, sur sa carrière entière.