Je ne comprends pas, moi qui croyais aller voir un film de castagne entre le gentil de Spider-Man et le méchant de Star Wars, voilà qu’il a fallu lutter contre le sommeil pendant près de trois heures, bercé par le chant des cigales japonaises et le ressac de la mer de Taïwan. Pas l’ombre d’un duel au sabre, d’un mawashi geri bien placé, non juste des bla-blas interminables et des cas de conscience éculés… Martin, qu’est-ce que c’est que cette arnaque ?
En fait on dirait la copie poussive d’un bon élève trop appliqué, essayant de faire plaisir à ses professeurs, et regardant d’un air un peu hautain ses petits camarades décidément trop portés à la turbulence. Le genre de fayot qui dit « silence ! » en pleine classe quand tout le monde chahute, pour bien montrer que lui veut écouter la parole du maître. Il tire la langue sur ses pleins et ses déliés, lève toujours le doigt en premier pour réciter au mot près ses leçons, mais ne s’autorise jamais à dévier d’un pouce de la ligne tracée par l’autorité. On le croit parfois sérieux et habité, là où il n’est peut-être qu’effrayé à l’idée de laisser parler la violence qui l’habite et le déchirerait s’il perdait tout contrôle sur elle. A la récré, tout ce qu’il condescend à faire, c’est arbitrer les match de volley, en regrettant un peu les genoux qui saignent et les croches-pattes traitres. Toujours prêt à montrer qu’il déteste les mauvais joueurs, et la mauvaise foi, il met un point d’honneur à se tenir au-dessus de la mêlée et à compter les points avec une objectivité qui, croit-il, l’honore.
Mais depuis quand l’objectivité est-elle une valeur cinématographique ? Face au languissant périple qui conduira le père Rodrigues à renier publiquement sa foi (tout en la gardant bien au chaud au creux de son cœur, évidemment), on se demande forcément comment le vieux Scorsese a pu avec les années non seulement devenir aussi tiède, mais surtout pourquoi il semble aussi satisfait de nous le montrer. Si l’orgueil de son héros, longtemps fier d’appartenir à une religion prête à massacrer des populations entières sous prétexte qu’elle seule avait le monopole de la vérité, est à la fin du film maté, celui du réalisateur reste apparemment intact après 40 ans de (plus ou moins) bons et loyaux services. Entre ses mains désormais un peu branlantes et fatiguées, le cinéma semble n’être plus qu’une grosse machinerie à étaler des préoccupations qu’il voudrait croire lui aussi universelles, mais qui ne sont qu’affaire de conviction personnelle. Dans ses nouveaux habits un peu étroits d’apôtre pondéré, il semble guetter d’un oeil avide la fascination et le respect là où il n’y a plus de place que pour l’indifférence et l’ennui.