« Dès demain, je regarderai les gens en face. Dès demain, je les écouterai… »
Réapprendre à écouter. À regarder. À s'ouvrir au monde, à s'ouvrir aux autres. Réapprendre à s'aimer, à aimer. Réapprendre à vivre.
Réapprendre à travers le personnage d’Ishida, un adolescent qui trimballe avec lui la terrible culpabilité d'avoir harcelé l'une de ses camarade de classe lorsqu'il était en primaire, parce qu'elle avait le malheur d'être sourde.
« Silent Voice » raconte la difficile rédemption du jeune homme, le long chemin qu’il parcourt, portant ce lourd fardeau sur les épaules. Est-il encore possible de réparer le mal qu'il a fait ? D’être pardonné, et de se pardonner lui-même ? Pas (seulement) pour soulager sa conscience mais pour faire en sorte que Nishimiya, sa victime, ne souffre plus - ou moins - de ce traumatisme passé, dont il est à l'origine.
L'exercice auquel se livre Naoko Yamada est périlleux. La réalisatrice le réussit cependant à merveille, traitant le sujet avec une grande intelligence et beaucoup de subtilité. C'est là que se trouve la grande force du film : il ne tombe pas dans le piège tendu par les nombreux thèmes qu’il aborde, terrain idéal à la création d’une histoire mièvre, moralisatrice ou manichéenne.
Heureusement, il n’en est rien. Le handicap par exemple, l’un des thèmes phares ici, est utilisé comme une toile de fond. En effet, la nouvelle écolière intégrant l’école aurait très bien pu être rejetée pour d’autres raisons - parce qu’elle n’est pas assez belle, pas assez mince ou pas assez extravertie au goût des autres élèves - mais il a été décidé qu’elle serait sourde, et il est accordé à cet élément scénaristique toute l’importance qu’il mérite sans qu’il ne fasse de l’ombre à l’essentiel du propos.
Le scénario, justement, à l’écriture remarquable, échappe donc à ces travers tout en portant un message d’acceptation : des autres, des différences, bien sûr, mais avant tout d’acceptation de soi : le personnage principal doit d’abord apprendre à s’aimer lui-même avant de réussir à aimer les autres. Et être aimé en retour.
Les « autres », c’est une galerie de personnages fouillés, aux rapports ambigus. Chacune de leurs actions, chacun de leurs échanges, témoigne de toute la complexité de l’être humain et de la difficulté d’évoluer en société. Ils vont chercher à définir la nature du lien qui les unit. Qu’est-ce que l’amitié ? Comment prend-t-elle forme ? D’une minute à l’autre, celle-ci peut naître puis être mise en péril.
La plupart ont, comme Ishida, une part de responsabilité qu’ils doivent accepter. À ses côtés, et aux côtés de Nishimiya, ils vont en prendre conscience et livrer, chacun à leur manière, cette bataille intérieure.
Dès les premières secondes du film, l’envoûtement est total : la beauté de la bande originale vous saisit immédiatement, et alors que le point de lumière aperçu en ouverture se change en images, vous êtes immergé et émerveillé par la qualité de l’animation, par la douceur des mouvements, par la finesse du montage.
L’oeuvre est contemplative, elle fourmille de bonnes idées de mise en scène, de trouvailles visuelles, dont certaines sont sans doute tirées du manga (que je n’ai pas encore lu, mais ça ne saurait tarder) et adaptées à l’écran d’une main de maître. Ainsi, la caméra épouse le point de vue d’Ishida et le spectateur traverse les difficultés avec lui. Il souffre, il a peur, il pleure, à l’occasion de grandes scènes de cinéma, extrêmement riches en émotion, jusqu’à celle - majestueuse - qui clôture le long métrage.
A l’heure où j’écris ces lignes, le film est diffusé depuis un peu plus d’une semaine sur les écrans français. Je l’ai découvert à cette occasion et ne regrette pas d’avoir attendu pour voir cette oeuvre magnifique : sur grand écran, l’émotion est décuplée.
Alors n’hésitez plus : foncez dans les salles obscures.« Silent Voice » est une pépite du cinéma d’animation japonais à ne manquer sous aucun prétexte.