Maloja Snake. Helena, entrepreneur, mariée deux enfants, s’éprend de Sigrid, une gamine détachée et calculatrice qui lui fait croire qu’elles peuvent construire une relation. Conquise par la farouche désinvolture de l’adolescente, Helena cède peu à peu à tous ses caprices, réels ou supposés, dans une vaine tentative de la garder auprès d’elle. Mais la jeunesse est volage et Sigrid, froidement cruelle, finit par lui filer entre les doigts. Folle de chagrin, Helena disparaît, laissant croire au suicide. La fougue de la jeunesse, le dédain pour les interdits, le mépris des convenances, la liberté enfin, tout ce qu’Héléna voyait en Sigrid, elle y aspirait. Engoncée dans son carcan social, elle avait pris la décision, en adulte, de s’abandonner naïvement à cette passion subite, attirée par le mirage d’une jeunesse renouvelée.

Sils Maria. Maria, actrice au faîte de sa carrière, emmêlée dans un divorce, venant de perdre un être cher, se voit confier le rôle d’Helena alors que, vingt ans plus tôt, elle incarnait Sigrid dans la même pièce. Valentine, sa jeune assistante, lui donne la réplique lors des répétitions. Isolées dans les Alpes Suisses, livrées l’une à l’autre, si différentes, elles se replongent dans le texte de la pièce, sur les lieux mêmes où son auteur, récemment défunt, l’avait écrite.

Tout est en place pour que se rejoue, dans une mise en abyme parfaite, la tragédie de Maloja Snake. Le jeu des actrices (Juliette Binoche et Kristen Stewart puis Chloë Grace Moretz) est excellent. Le clivage entre la fougue de Valentine et la maturité de Maria est détonnant. Mais non. Aux antipodes d'un "Black Swan", au demeurant excellent, Assayas a choisi une autre voie, plus subtile, moins attendue même s’il entretient un temps le flou autour du dénouement.

A y regarder de pas si près que ça, ce film est bien un « film gigogne », une mise en abyme. Mais pas vraiment celle qu’on attendait. Pour commencer, j’en veux pour indice qu’on y retrouve Kristen Stewart aux côtés de Juliette Binoche qu’on avait déjà vue dans le "Cosmopolis" de David Cronenberg aux prises avec un certain Robert Pattinson. D’autant plus coquasse que Pattinson a lui aussi fait les seconds couteaux dans un film (le moyen Maps to the stars du même réalisateur) sur le cinéma, les dérives d’Hollywood, une actrice en quête d’une seconde jeunesse s’apprêtant à jouer un rôle qui la hante.

D’étranges similitudes que le film d’Assayas a tôt fait de balayer. La névrose pathétique de Julianne Moore laisse ici le pas à un subtil questionnement sur la temporalité et la jeunesse. La sexualité dévoyée et pesante du film canadien le cède à la sensualité crispante de la relation entre Valentine et Maria dont on ne parvient à saisir les rouages. Le mépris évident qu’avait Cronenberg pour ses personnages est remplacé par un regard plus tendre et en définitive, bien plus optimiste d’Assayas sur les siens.

D’ailleurs, « Sils Maria » lui-même révèle une certaine porosité entre les réalités, comme dans la fameuse pièce (« Six personnages en quête d’auteur ») de Pirandello ou même dans le film d'Aronovsky. L’on ne sait plus qui apparaît à l’écran des personnages de la pièce (Sigrid et Héléna) du film (Maria, Valentine et Jo-Ann) voire de la vraie vie (Chloë Grace Moretz, dans son propre rôle d’enfant star tournant dans des films de super héros avant de donner la réplique aux plus grands ? Kristen Stewart en jeune incomprise moderne et ambitieuse qui s'est embourbée dans un contrat où elle ne se sent pas s’épanouir ? Juliette Binoche, actrice française partie à Hollywood, percevant dans la vigueur de ses puînées ses propres limites ?).

Assurément, Assayas s’est amusé à mélanger ces éléments réels et fictifs, à faire porter à ses actrices des rôles qui ressemblent à ce qu’elles sont ou pourraient être, et plus encore, à faire s’interroger ses personnages sur la vraisemblance, la vie d’acteur, la valeur et la perception des rôles, le lien insécable entre l’acteur et son personnage, la difficulté de vieillir, de s’adapter, d’accepter sa différence.

En définitive, « Sils Maria » n’est autre chose que le « Maloja Snake » : un nuage rare et subtil dont la fraicheur et le mystère reposent sur la confusion des sentiments qu’il opère. J’ajouterai le plaisir qu’il y a à voir un film remarquablement porté par des femmes, au milieu de productions toujours plus masculines.
Fwankifaël
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le 21 août 2014

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Fwankifaël

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