Le film est à la fois un aboutissement et un point de départ. Après La Fille qui en savait trop et le segment Le Téléphone dans Les Trois visages de la peur, il est l’achèvement de la mise en place d’un nouveau genre, le giallo. Un genre qui mettra six ans avant de devenir populaire sous l’impulsion de Dario Argento et de donner des centaines de titres au long des années 1970. Le giallo, c’est un thriller, un film de machination, hérité évidemment du cinéma d’Hitchcock où Éros et Thanatos dansent le tango tout au long de la pellicule. Le tango, c’est justement la partition musicale qui accompagne ce film clef de Mario Bava. Une musique lascive et langoureuse qui lie les amants meurtriers, ceux des Diaboliques, par exemple. Dans ce premier effort où les lames ne brillent pas encore dans l’obscurité et où le sang ne coule pas à flot, la violence est cependant bien présente et répond de près à une esthétique doucement érotique. Mario Bava, en 1964, ne peut pas encore pousser les curseurs comme ses héritiers, mais il pose les thématiques principales qui feront le succès du genre. Il n’hésite cependant pas à brûler vif, à étrangler et à infliger d’autres morts bien douloureuses à ses diverses victimes.


Mais la marque de fabrique de son travail, qui s’appuie sur un script plutôt convenu pour un thriller, ce sont ses choix de mise en scène. Testés sur Le Téléphone, ils prennent ici une autre dimension. Avec la couleur, Mario Bava propose tout un jeu de nuances qui aujourd’hui encore émerveille. Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’une esthétique qui se regarde le nombril mais d’une esthétique qui renvoie aux thématiques de son récit. Les rouges, les verts et les roses reflètent ainsi pleinement les perversions qui animent les différents protagonistes. Des perversions qu’on nous invite à regarder mais dont nous sommes toujours écartés. Si tous les personnages semblent, en effet, avoir des choses à cacher, aucun d’entre eux n’est présenté comme une clef d’entrée. Nous sommes toujours laissés devant le pas de la porte. Il n’y ainsi pas un personnage-enquêteur auquel nous puissions nous identifier et qui pourrait nous expliquer ce qu’il se passe sous nos yeux. D’où cette impression durable de mystère qui pourra laisser sur le bas-côté certains spectateurs comme ce fut le cas à sa sortie. C’est pourtant là où le choix narratif de Mario Bava fait toute sa modernité. Plongé au milieu de tous ces personnages opaques et peu fiables, le spectateur est agréablement perdu.


La force du travail du réalisateur italien réside dans cette capacité à introduire tout un tas de nouvelles thématiques en recyclant avec talent celles aperçues dans d’autres genres voisins. On n’est ainsi jamais très loin de l’ambiance gothique des films italiens avec leurs femmes effarées victimes d’affreuses machinations. On n’est jamais très loin de la flamboyance des films de la Hammer dont il semble avoir transposé l’atmosphère dans une époque contemporaine. Reprenant des éléments du théâtre (le générique introductif ressemble à une présentation d’un théâtre de marionnettes avec ses acteurs figés aux côtés des mannequins de paille) et des récits antiques (le final qui lie éternellement les amoureux), Mario Bava livre une synthèse narrative et esthétique qui a inspiré les plus grands avec ce film étrange, à la fois terriblement novateur et aimablement vieillot. Une date dans le cinéma.


Play-It-Again-Seb
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le 14 déc. 2024

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