Skyfall. Un James Bond phare. Un film phare.
Mon affection à l'égard de ce film est grande, pour ne pas dire immense. Deux visionnages au cinéma, et probablement cinq ou six une fois le DVD sorti. Toujours la même admiration, la même sensation vertigineuse et réconfortante : ce film m'a compris. Ce film a exactement compris son époque. Ce film a mis le doigt sur ce dont personne ne parle, ou mal.
2012 fut une année de transition. Depuis 2012, tout semble partir à vau l'eau, et tout ce qui semble lui avoir précédé me paraît déjà loin, regrettablement loin. 2012, cet entre-deux parfait entre passé et modernité. La nostalgie, quoi.
L'enjeu de Skyfall est bien là : exposer la problématique qui veut que deux mondes ne cessent de rentrer en collision l'un avec l'autre. Les conservateurs, traditionnalistes et autres passionnés d'Histoire, regardant fréquemment dans leur rétroviseur, face aux fous du progrès, aux amateurs de nouveauté bel et bien décidés à détruire les vieilles valeurs, considérées comme rétrogrades, désuètes, voire dangereuses. De bout en bout, on balance entre deux visions, entre le passé d'un homme brisé, vieillissant, mais encore tenace, le présent balloté par un permanent état d'urgence, et le futur qui se veut déjà là, écrasant de ses bottes les vieilles institutions telles que le MI6, considéré comme un dinosaure de la Guerre Froide. Skyfall est un plaidoyer pour les anciennes méthodes, pas toutes bonnes à jeter. Un plaidoyer qui énonce, affirme une vérité simple, conforté plus tard par le maladroit Spectre : la technologie ne fera pas tout. Les dinosaures de la Guerre Froide ont encore leur place, capables d'unir vieilles farces et attrapes et nouveaux stratagèmes de défense.
Skyfall, c'est bien plus que l'histoire d'un James Bond qui en a encore sous le capot même s'il commence à fatiguer. Skyfall nous demande de peser le pour et le contre, de jouer de nuance et de savoir conserver le meilleur de l'ancien, le meilleur du plus tard. Les vieilles bagnoles comme les joujous technologiques les plus cheatés, les agents ingénieux fraîchement engagés, qui apportent leur souffle nouveau, comme les plus expérimentés, piliers de poids d'une société, d'un mécanisme, d'un organisme. Avancer, sans jeter. Dénoncer l'obsession d'une transparence réclamée par les gouvernements et la population était couillu. Oui, les agences d'espionnage sont sales, oui les permis de tuer existent. Oui, certaines balles perdues trouvent malencontreusement leur fin de course dans le cœur d'une cible ou deux à éliminer. Mais s'il fallait finalement cela, pour garantir la sécurité nationale ? Si la Guerre Froide n'avait jamais totalement pris fin mais s'était contentée de muer ?
Le film fourmille de réflexions et remarques silencieuses mais pertinentes, pointant du doigt les contradictions d'une époque qui se veut exigeante et rentable à la fois, peu coûteuse en moyens financiers et en vie humaine, tout en demandant une sécurité maximale. Impossible.
Quant à ceux qui se fichent du fond lorsqu'ils matent un James Bond, il y a largement de quoi être servi, tant Skyfall cumule les scènes cultes, une introduction soignée (au générique parmi l'un des plus réussis), un casting impeccable (Craig au top, Fiennes parfait, Whishaw génial, Bardem oufissime, Marlohe qui écope d'un micro-temps de présence - regrettable à la Monica Belluci), une photographie époustouflante et une BO inspirée et inspirante, composée par un Thomas Newman efficace et pertinent.
Le bijou de Sam Mendes est la preuve sans conteste qu'un blockbuster n'est pas forcément con, n'est pas forcément fait pour abreuver les cerveaux de la plèbe d'un divertissement débilitant.
La jonction entre l'ancien et l'avant est parfaite. Un hommage-anniversaire foutrement réussi, une renaissance qui, malheureusement, ne pourra déboucher que sur une suite décevante, incapable de se hisser à la hauteur du troisième Bond-Craig.
Parce que Skyfall, c'est du putain de bon cinéma.